La naissance des tempêtes de poussière saharienne dévoilée en 3D

Les vastes quantités de poussières soulevées au Sahara modifient fortement les bilans énergétiques terrestres, les processus biogéochimiques, la circulation atmosphérique, la qualité de l’air et la visibilité en Afrique du Nord, mais aussi bien au-delà lorsque les vents les transportent à des milliers de kilomètres. Les tempêtes de poussière sont déclenchées par des mécanismes dynamiques complexes et sporadiques. Leurs naissances sont très mal documentées, étant donné les moyens d’investigation très limités dans les régions désertiques. Les scientifiques étudient les quantités de poussières soulevées dans l’atmosphère et leur parcours vers d’autres régions à partir des observations satellitaires. Or, jusqu’à présent, les mesures satellitaires classiques ne caractérisaient que la répartition bidimensionnelle (2D) des poussières désertiques, soit par une cartographie horizontale, soit par des profils verticaux des poussières uniquement le long de transects.
Grâce à une méthode innovante utilisant des mesures satellitaires du sondeur IASI qui passe deux fois par jour au-dessus d’un même lieu, une équipe de chercheurs franco-allemands(1) a pu observer, pour la première fois depuis l’espace, la distribution tridimensionnelle (3D) des poussières lors de la naissance puis de l’évolution de tempêtes au cœur du Sahara. La répartition verticale des poussières a été estimée à partir de leur émission thermique.
Ces nouvelles observations satellitaires(2) ont permis de mieux comprendre les mécanismes dynamiques à l’origine des tempêtes de poussière au Sahara durant l’été. Elles ouvrent des perspectives prometteuses pour l’étude des mécanismes de mélange vertical des poussières désertiques, pour l’étude des émissions de poussières (avec moins d’ambiguïté sur la variabilité des poussières près de la surface que les mesures satellitaires traditionnelles en 2D), ainsi que pour la validation et la correction en 3D des modèles numériques de la distribution des poussières.
Distributions (tridimensionnelle et horizontale) moyenne des trois tempêtes les plus intenses de juin 2011. La surface marron de la distribution 3D représente la distribution des poussières ayant une abondance constante, correspondant à un coefficient d’extinction de poussière de 0,2 km-1 à 10 μm. La distribution horizontale est fournie en fonction de l’épaisseur optique de poussière. Les flèches indiquent la direction et l’intensité du vent proche de la surface. © LISA/IPSL
(1) Les laboratoires impliqués sont les suivants : Laboratoire interuniversitaire des systèmes atmosphériques (LISA/IPSL, UPEC / CNRS / Université de Paris), Laboratoire atmosphères et observations spatiales (LATMOS/IPSL, CNRS / UVSQ / Sorbonne Université / CNES), Karlsruher institut für technologie (Institut für meteorologie und klimaforschung, Karlsruhe, Germany) et Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement (LSCE/IPSL, CNRS / CEA / UVSQ).
(2) issues de l’approche dénommée AEROIASI dont le développement a bénéficié du soutien financier du CNES, du PNTS et de l’ANR, ainsi que de la mise à disposition des données EUMETSAT par le pôle thématique AERIS.
En savoir plus
Cuesta J., C. Flamant, M. Gaetani, P. Knippertz, A. H. Fink, P. Chazette, M. Eremenko, G. Dufour, C. Di Biagio and P. Formenti, Three dimensional pathways of dust over the Sahara during summer 2011 as revealed by new IASI observations, Quarterly Journal of the Royal Meteorological Society, https://doi.org/10.1002/qj.3814, 2020
Article détaillé sur the conversation : https://theconversation.com/comment-naissent-les-tempetes-de-sable-144131
Contact
Juan Cuesta (LISA/UPEC/IPSL) : This email address is being protected from spambots. You need JavaScript enabled to view it.
, 01 82 39 20 64
Un évènement de poussière exceptionnel !

Front de poussière arrivant sur la ville de Niamey le 4 mai 2020 vers 14h (Photo Aliko Mamane – IRD Niamey)
Le 4 mai dernier, Niamey, la capitale du Niger, a connu une tempête de sable et de poussières d’une intensité telle qu’elle a attiré l’attention des médias. Au cours de cette tempête qui a touché la capitale vers 14 h (heure locale), la visibilité a brutalement décru comme s’il faisait nuit en plein jour pendant une dizaine de minutes. A Niamey, des pluies très importantes (56mm) ont suivi ce front de sable et de poussières.
Ce type d’évènement est enregistré de façon récurrente au Sahel à l’approche de la mousson, mais avec une intensité en termes de teneurs en poussières et précipitation très variables d’une année à l’autre. L’intensité de ces tempêtes de poussières peut être quantifiée par la mesure des concentrations atmosphériques en particules de taille inférieures à 10 µm (PM10). Cette mesure est faite en routine à la station de Banizoumbou, à 70 km de Niamey, dans la cadre du Service National d’Observation INDAAF (https://indaaf.obs-mip.fr/).
L’évènement du 4 mai reproduit un schéma classiquement observé au cours du passage des systèmes convectifs : en quelques minutes, la direction du vent change radicalement (de 200 à plus de 300°), la vitesse du vent en surface augmente et dépasse le seuil permettant la mise en mouvement des particules du sol, et simultanément la concentration en particules, produites par cette érosion locale, augmente de plusieurs ordres de grandeur : la concentration en PM10 passe d’environ 100 µg m-3 à presque 200.000 µg m-3 en moins de 5 minutes. De façon simultanée, l’humidité relative de l’air passe de moins de 40% à 80% et la température chute de façon spectaculaire de 40 à 23°. Peu après, la pluie commence à tomber, mouille le sol et finit ainsi par inhiber l’érosion éolienne et en même temps nettoie l’atmosphère de ses poussières. La concentration décroit alors assez brutalement pour atteindre son niveau initial, puis augmente à nouveau une dizaine d’heures plus tard en raison d’une recirculation de la masse d’air chargée en poussière, produisant une concentration ambiante qui atteint encore plus de 10.000 µg m-3 au cours de la nuit malgré un vent très faible.
L’enregistrement des concentrations et des paramètres météorologiques de surface à fine résolution temporelle (5min) par les stations du SNO permet d’enregistrer et de décrire précisément ce type d’évènements de très courte durée, difficilement détectable par des mesures optiques au sol ou par satellite en raison de la présence de nuage et de leur courte durée. Chaque année environ une trentaine d’évènement associant fortes concentrations et précipitations sont enregistrés sur le site de Banizoumbou entre mai et septembre. Les évènements les plus intenses sont enregistrés entre fin mai et début juillet, avec des concentrations maximales en PM10 qui varient généralement de 10.000 à 100.000 µg.m-3. L’évènement du 4 mai est l’évènement le plus intense jamais enregistré depuis la mise en place de la station en janvier 2006. Déjà exceptionnel par son intensité, cet évènement l’est également par sa précocité, car de tels niveaux de poussières sont rarement observés à Banizoumbou avant le 25 mai. En ce qui concerne les précipitations associées, elles sont très faibles à la station de Banizoumbou (2.2 mm) alors que des pluies torrentielles ont été mesurées à Niamey. Cela illustre l’extrême variabilité spatiale des précipitations associées à la convection dans cette région.
Malgré le confinement en France et dans les pays d’Afrique de l’Ouest, les stations du SNO INDAAF continuent de fonctionner grâce au travail et à l’investissement des opérateurs locaux et des Pis scientifiques et techniques du LISA (Créteil), du LA (Toulouse) et de iESS-Paris.
![]() |
Le SNO INDAAF est labellisé par l’INSU-CNRS, soutenu par l’OSU EFUVE, l’OMP et l’IRD (Institut de Recherche pour le Développement) et fait partie de l’Infrastructure de Recherche ACTRIS-Fr. |
|
Contact : B. Marticorena (This email address is being protected from spambots. You need JavaScript enabled to view it. This email address is being protected from spambots. You need JavaScript enabled to view it. ) et J.L. Rajot (This email address is being protected from spambots. You need JavaScript enabled to view it. )