Axe 4 : DÉPÔT ATMOSPHÉRIQUE DE MÉTAUX ET DE NUTRIMENTS : FLUX ET INTERACTIONS AVEC LES ÉCOSYSTÈMES MARINS

Le phytoplancton marin est un des acteurs clés du cycle du carbone à l'interface air-mer en permettant son piégeage puis sa séquestration dans les eaux profondes.  Certains éléments (N, Fe, P, Si, Co, Zn ...), nutriments ou oligonutriments indispensables à la croissance du phytoplancton, sont parfois disponibles en quantité trop limitée dans le milieu marin pour permettre son développement. Aussi, dans certaines zones océaniques éloignées des côtes et à certaines périodes de l'année, le dépôt atmosphérique de poussières désertiques constitue la principale source de ces nutriments. Connaître la chimie de ces métaux ou de ces nutriments est alors déterminant pour estimer leur biodisponibilité dans le milieu marin, c'est-à-dire la fraction qui est solubilisée et donc potentiellement assimilable par le phytoplancton.


Les activités développées sur ce thème au LISA consistent à la fois : (1) à étudier les processus de dissolution des nutriments/métaux et (2) à suivre les flux atmosphériques de dépôts particulaires dans des zones d’intérêt sous le vent des zones désertiques Africaines comme l’océan Atlantique, l'océan Austral ou la Méditerranée. Cette dernière approche, combinée à des simulations 3-D du cycle des aérosols désertiques, permet de quantifier les flux de dépôts de ces éléments à l'échelle régionale ou continentale.


En ce qui concerne l'étude des processus de dissolution, ce travail a pour but de comprendre quels sont les paramètres déterminants de la solubilité des métaux et des nutriments au sein des aérosols. Pour cela, nous utilisons des systèmes de dissolution/filtration, développés au laboratoire et permettant de simuler la dissolution de particules dans une pluie. Nous mesurons la solubilité des métaux/nutriments à partir d'aérosols collectés sur le terrain (en zone source ou après transport), mais également à partir d'aérosols désertiques produits en laboratoire à partir de sols avec le système de génération d'aérosols GAMEL. Cette dernière approche permet de produire des aérosols désertiques modèles, purs non-modifiés par le transport, en quantité assez importante pour renouveler plusieurs fois les expériences de dissolution en conditions variées (pH de la pluie, temps de contact..). La nécessité de mener également des études sur des aérosols collectés sur le terrain, tient au fait que les propriétés de solubilité des particules désertiques sont modifiées par le vieillissement chimique et physique au cours du transport. En effet, les poussières désertiques peuvent capter les gaz réactifs, être incorporés dans des nuages ou encore se mélanger avec d'autres types de particules, notamment anthropiques, ce qui modifie leurs propriétés. Ces études de dissolution permettent à terme l'élaboration de paramétrisations robustes du lien entre la solubilité et les différents paramètres l'influençant, qui pourront être utilisés dans les modèles de climat.  


Au cours des dernières années, une grande partie de notre activité s'est focalisée sur l'étude de la solubilité du fer et de sa relation avec sa minéralogie au sein des aérosols désertiques en zone d'émissions Saharienne et Sahélienne, au travers des projets AMMA, DODO puis FERATMO et FERATMO+. Plus récemment, une attention particulière a été portée à l'étude de la solubilité des métaux traces et lien avec l'origine des particules (désertiques vs anthropiques), ce qui est au cœur des projets ChArMex, DIADEME et PEACETIME
Afin d'accéder à la biodisponibilité de ces métaux/nutriments pour le phytoplancton nous suivons également des approches intégratives en collaboration avec des biogéochimistes marins. Ceci implique des expériences d’ensemencements, par des aérosols ou des pluies désertiques simulées, de cultures phytoplanctoniques en laboratoire ou de mésocosmes (dispositifs expérimentaux isolant une masse d'eau déployés en mer). Ce type d'expériences permet  de quantifier la fraction soluble des aérosols dans le dépôt ainsi que dans l'eau de mer (ou de cultures). Ces travaux, menés avec des biologistes, permettent de suivre la solubilité et la biodisponibilité des nutriments apportés par le dépôt grâce à des mesures physico-chimiques et à travers le suivi du développement phytoplanctonique. Les expériences menées en mésocosmes permettent aussi de quantifier le devenir des particules désertiques dans la colonne d’eau après dépôt et ainsi leur rôle dans les flux de carbone organique.


Ce type d'approche en mésocosmes a été développé pour suivre le rôle des apports désertiques en Méditerranée comme source de nutriments pour les écosystèmes marins dans le cadre projet DUNE (Figure 1). Actuellement, un travail spécifique sur la détermination du lien entre solubilité et disponibilité du fer issu d'aérosols désertiques ou volcaniques par des expériences d'ensemencement de cultures en laboratoire est mené au sein du projet BISOU.  


Finalement, notre stratégie est aussi de mener ce type d'approche en milieu naturel en suivant des évènements de dépôt atmosphérique lors de campagnes océanographiques. Il s’agit alors de caractériser la composition chimique/minéralogique des particules déposées et de suivre, en collaboration avec des océanologues, à la fois le devenir des métaux/nutriments dans la colonne d’eau, leur assimilation par les micro-organismes marins, et leur impact sur l’export de carbone. Cette stratégie est au cœur des campagnes en mer PEACETIME (dépôt humide Saharien en Méditerranée) et TONGA (dépôts de cendres Volcaniques dans le Pacifique).

 

 

 

Figure 1 : Ensemencement de mésocosmes avec une pluie Saharienne simulée pendant la campagne DUNE

 

Par ailleurs, le LISA est impliqué dans le suivi des flux de dépôt en masse, en métaux et en nutriments. Les flux de dépôts atmosphériques présentent une grande  variabilité spatiale et temporelle aussi bien en terme de masse que de composition, pilotée à la fois par la proximité ou non de sources d'aérosols et par les conditions météorologiques. Afin de suivre la variabilité des dépôts,  deux types de collecteurs ont été développés au laboratoire:


- D'une part, des collecteurs de dépôt (dépôt sec + humide ou dépôt humide) adaptés au suivi de la composition chimique des flux atmosphériques afin de déterminer les concentrations totales ou dissoutes en métaux et nutriments. Ces collecteurs peuvent être utilisés pour faire de la mesure événementielle de composition chimique des pluies lors des campagnes terrain ou en mer. Déployés sur de longues périodes, ces collecteurs permettent d'avoir accès aux flux totaux annuels avec une résolution hebdomadaire. Toutefois, cela demande une présence humaine spécialisée qui est un frein à leur déploiement en zone maritime éloignée où les flux de dépôts ont un impact sur le phytoplancton (par exemple sur des îles peu habitées). Ce type de collecteurs a été utilisé notamment pour caractériser  de la composition chimique des pluies "Sahariennes" en zone de dépôts avant ou après transport dans les projet AMMA, Dust-Attack et PEACETIME (Figure 2), mais également pour faire du suivi long terme de la composition chimique en métaux et nutriments en Méditerranée dans le programme ChArMEx.


- D'autre part, un collecteur de dépôt autonome et automatique de retombées atmosphériques (CARAGA) a été développé pour établir un réseau de mesures homogènes de suivi des dépôts sur le bassin Méditerranéen avec un pas d’échantillonnage hebdomadaire et sur plusieurs années (Projet DEMO).


Ce type de mesures permet d'alimenter des bases de données de flux atmosphériques en zone d'intérêt, qui nous permettent de déterminer la contribution des différentes sources de particules sur les flux de dépôt à l'aide de méthode statistiques, telles que l'ACP ou la PMF. Ces mesures des dépôts en flux massiques et en composition chimique, ainsi que les sources de ces flux, sont des informations de premier plan pour contraindre les modèles de chimie-transport et de climat.

 

 

Figure 2 : Collecteur de pluie déployé pendant la campagne en mer PEACETIME.