Photochimie des molécules d'intérêt exobiologie dans le VUV

Les travaux effectués dans ce cadre sont décrits en détail dans ma notice HDR (chapitre 1 à 5). Elles ont été réalisées en collaboration avec Sydney Leach, François Dulieu, Jean-Hugues Fillion (LERMA, Observatoire de Paris-Meudon), Hans-Werner Jochims et Helmut Baumgärtel (Physikalische und Theoretische Chemie, Freie Universität Berlin). Sur cette page, je donnerai juste un bref résumé.

Contexte scientifique : La motivation générale pour les travaux que nous avons entrepris dans les dernières huit années est née d’une question fondamentale de l’exobiologie, à savoir quelles chances de survie auraient de petites molécules biologiques ainsi que des molécules prébiotiques dans différents milieux extraterrestres, comme par exemple le milieu interstellaire (MIS) ou les atmosphères planétaires, vis à vis des champs électromagnétiques qui y règnent. Grâce au progrès en radioastronomie et en astronomie infrarouge, des molécules dites « précurseurs biologiques » ou « prébiotiques », telles que le CH3COOH, son isomère HCOOCH3, HCOOH, CH3CN, HCN ou encore CH3CONH2 ont été identifiés dans le milieu interstellaire (pour la liste complète voir la compilation publiée sur le site internet du PCMI). Ainsi, explorer la photochimie dans l’ultraviolet du vide (VUV, Ephoton ≈ 6-20 eV; l ≈ 62-200 nm) des molécules biologiques et prébiotiques est d’un intérêt considérable du point de vue d’un exobiologiste, à cause de l’apport possible de ces molécules de l’espace vers la terre jeune, ou bien vers d’autres corps planétaires, et le rôle qu’elles auraient pu jouer pour l’origine et le développement de la vie sur ces corps [1],[2],[3].

Dans le domaine spectral du VUV, la section efficace de photoabsorption des biomolécules simples est souvent beaucoup plus élevée par rapport à l’UV proche (l ≈ 400-200 nm, E < 6 eV ; voir par exemple la monographie pionnière de Robin, 1974 [4]). En particulier, elles absorbent fortement à E = 10.21 eV, énergie correspondante à l’émission Lyman-a de l’hydrogène atomique. Les données expérimentales VUV existantes sur ces molécules et dans ce domaine d'énergie, ne contiennent le plus souvent que les spectres photoélectroniques et ceux de photoabsorption. En plus, les spectres d'absorption s'arrêtent souvent à 11.5 eV à cause des contraintes expérimentales anciennes.

La plupart des molécules que nous avons étudiées (cf. Figure 1) ont des énergies d’ionisation bien en dessous de cette énergie. C’est pourquoi l’ionisation et l’ionisation dissociative représentent des sujets importants à étudier. Le domaine spectral de l’UV lointain est d’autant plus important pour l’étude de l’origine de la vie que la luminosité VUV du jeune soleil (pendant l’ère de l’Hadéen, lors du bombardement intense de la terre il y a environ 4 milliards d’années) était plus élevée par deux ordres de grandeurs par rapport à notre ère, malgré que la luminosité totale du soleil (intégrée sur toutes les longueurs d’onde) était quant à elle plus basse que maintenant [5]. Nos travaux de photochimie dans l’UV lointain constituent ainsi une base indispensable, parmi d’autres, pour mener des réflexions sur la chimie prébiotique qui aurait menée à l’origine de la vie telle que nous la connaissons.

J’évoque un autre aspect, plus fondamental, de nos travaux : les mesures en phase gazeuse des petites biomolécules ont de l’importance en biologie parce que leurs propriétés intrinsèques, c’est à dire sans interaction avec un environnement de solvatation liquide ou de matrice solide, peuvent ainsi être étudiées (par exemple les mécanismes de dynamique interne de relaxation, les forces intramoléculaires, l’interconversion des conformères, la tautomérisation etc…). En plus, les résultats expérimentaux sont plus facilement comparables aux résultats de calculs quanto-chimiques pour lesquels, en général, des molécules isolées sont étudiées. L’étude des biomolécules en phase gazeuse est un domaine de recherche en pleine expansion au niveau international et elle jouera certainement un rôle important au sein des Sciences du Vivant. C’est pourquoi, j’ai co-organisé, avec Jean Demaison, Thérèse Huet (Laboratoire PhLAM, Université de Lille 1) et Isabelle Kleiner (LISA, CNRS, Universités Paris 7 & 12), une école d’été autour de cette thématique afin de structurer les activités de recherche menées en France dans ce domaine (« BIOMIMETIQUE 2005 - Contribution des méthodes spectroscopiques et quanto-chimiques à l’étude des molécules d’intérêt biologique » a été une école d’été d’une semaine financée par le CNRS et l’Université Paris Diderot- Paris 7).

 

Figure 1 : Molécules prébiotiques dont la photochimie VUV a été étudiée par notre groupe.

 

Les méthodes expérimentales que nous avons utilisées sont principalement la spectrométrie de masse à photoionisation, la spectroscopie d’absorption et spectroscopie de fluorescence. Pour toutes ces études nous avons employé le rayonnement synchrotron (principalement celui de BESSY) comme source de lumière excitatrice. Les molécules que nous avons étudiées sont montrées en Figure 1. Les résultats sont discutés en détail dans le chapitre 4 de ma notice HDR. Dans le compte-rendu ci-présent, je donnerai toutefois quelques conclusions clefs de nos recherches :

Résultats clefs de mes recherches dans le domaine de l’exobiologie :

1) Expériences effectuées entre 1998 et 2001 (postdoc): Dans cette période nous avons essentiellement travaillé sur l’acide formique (HCOOH). Nous avons enregistré et analysé son spectre d'absorption VUV  qui est caractérisés par de nombreuses séries de Rydberg qui convergent vers les différents seuils d'ionisation [6]. Nous avons déterminé le rendement quantique d'ionisation, Fi, en fonction de l’énergie du photon afin de savoir si cette molécule suit, en général, le comportement trouvé pour les HAP (Fi µ E (E > IE); F»  1 pour E ³  IE + 9.2 eV [7]). Pour obtenir plus d'informations sur les mécanismes de photofragmentation, nous avons fait des expériences de spectroscopie de fluorescence : Généralement, un photofragment qui est formé dans un état excité a, entre autres, la possibilité d'émettre un photon pour se désexciter vers son état fondamental. Les spectres de fluorescence UV/Vis peuvent ainsi servir à l'identification des espèces émettrices. Les spectres d'excitation VUV de cette fluorescence révèlent, en comparaison avec les spectres d'absorption et de photoélectron de la molécule mère, des états impliqués dans la réaction de fragmentation. J'ai utilisé un dispositif permettant de détecter la fluorescence après photoexcitation de la molécule mère HCOOH par le rayonnement synchrotron. Ainsi, les voies de photofragmentation VUV de l’acides formique on été étudiées en détail [8].

2) Concernant les bases N-hétérocycliques, nous trouvons que leurs ions moléculaires, formés par photoionisation dans le VUV, sont stables dans des domaines d‘énergie assez grands [9],[10]. Par exemple, le cation parent de l’adénine est stable entre 8.2 et 11.56 eV (140-107 nm, Eint = 3.36 eV). Puisque nous savons que le taux d’ionisation dissociative au seuil énergétique de formation du fragment respectif est kdiss = 104 s-1 dans notre expérience 16, nous pouvons conclure que dans le domaine d’énergie de la 1ère IE à la 1ère AE, les cations des bases d’ADN/ARN se désexcitent de préférence via conversion interne dans les conditions « sans collisions » du milieu interstellaire. Cette conversion interne est probablement liée à une émission dans l’infrarouge. La stabilité relative des bases d’ADN/ARN est probablement liée à leur système aromatique qui est capable de stabiliser une charge positive (voir aussi article posté sur le site du GDR Exobio).

La réaction de fragmentation principale des bases N-hétérocyliques dans le domaine d’énergie E < 13.6 eV est la perte de HCN qui est observée pour les monocations d’adénine, de purine, de benzimidazole, de pyrimidine et d’imidazole. La fragmentation la plus basse en énergie de la thymine et de l’uracile est la perte d’HNCO par réaction Rétro-Diels-Alder. Notons que HCN et HNCO sont observées dans les atmosphères cométaires [11]. HCN (mais pas HNCO) est également observé dans l’atmosphère de Titan et son profil vertical a récemment été mesuré par le spectrographe UVIS à bord de la sonde spatiale Cassini [12]. Nous émettons l’hypothèse que ces molécules pourraient, en partie, être formées à partir des bases d’ADN ou d’autres hétérocycles d’azote, photodégradées par le rayonnement VUV. Nous suggérons donc que les recherches des bases d’ADN/ARN dans le système solaire puissent se focaliser aux régions où leurs fragments HCN et HNCO sont observés.

2) Les cations mères des acides aminés fragmentent déjà à des énergies internes très faibles en dessus de l’énergie d’ionisation [13]. Leur stabilité en présence des champs électromagnétiques VUV est donc réduite par rapport aux bases d’ADN. Pour les a-acides aminés que nous avons étudiés le chemin de fragmentation le plus bas en énergie consiste en la perte du groupe carboxylique neutre COOH (rupture de la liaison aC-COOH).

L’ionisation dissociative des acides aminés étudiés par notre groupe donne également naissance au cation HCNH+ qui est un ion important en astrophysique (seuil de formation pour la glycine : AE = 13.0 ± 0.1 eV , pour l’a-alanine : 12.35 eV et pour le b-alanine : AE = 14.2 ± 0.1 eV ; le HCNH+ est également formé par l’ionisation dissociative de l’acide a-amino isobutyrique et de a-valine). Les recherches spatiales dans le MIS, ainsi que dans les atmosphères planétaires et cométaires, pour ces acides aminés devraient donc se focaliser sur les régions où HCNH+ est observé et en même temps une protection par la matière solide des acides aminés contre le rayonnement VUV peut être attendue.

3) Petites molécules réactives, considérés comme prébiotiques : Nos études sur les espèces HCOOH, CH3COOH, HCOOCH3, et CH3CN, molécules observées dans les MIS, ont révélé les principaux chemins de fragmentation de ces molécules dans le VUV. De plus, leurs spectres d’absorption ont été mesurés entre 6 et 22 eV (résolution spectrale 0.9 Å). Les spectres d’absorption au-delà de 11.2 eV n’étaient pas connus auparavant.

Récemment, j’ai entamé un programme de recherche sur la spectroscopie d’absorption VUV des polyynes et cyanopolyynes à basse température au synchrotron BESSY (en collaboration avec d’autres membres du LISA : Y. Bénialn, A. Jolly, M.C. Gazeau, N. Fray). Ce type de molécules linéaires est observé dans l’atmosphère de Titan. Pour modéliser la photochimie atmosphérique de ce satellite de Saturne, il est indispensable de connaître les sections efficaces d’absorption aux températures qui y règnent. Les résultats obtenus sont également importants pour interpréter les mesures de télédétection dans ce domaine spectrale actuellement effectuées par le spectrographe UVIS à bord de la sonde spatiale CASSINI qui explore le système saturnien 15. Ce programme de recherche a été soutenu par le GdR Exobiologie et par le programme national de physico-chimie interstellaires (PCMI).

La perspective principale de mon travail dans le domaine de l’exobiologie à l’avenir est l’étude de la photochimie des espèces prébiotiques de très faible volatilité, par spectrométrie de masse en utilisant les nanoparticules biologiques comme « véhicule de biomolécules » pour leur mise en phase gazeuse (voir détails chapitre 7.2.2 de ma notice HDR). Ce projet (« PhotoBIO ») a été déjà soutenu en 2007, par le GdR Exobiologie et le programme interdisciplinaire « Origine de la Vie et des Planètes » du CNRS. Il est envisagé d’utiliser le rayonnement synchrotron du nouvel anneau de stockage SOLEIL.



[1] A. Brack, (ed.), The Molecular Origins of Life. Oxford University Press, Oxford, 1998.

[2] S.J. Sowerby, W.M. Heckel, W.M., Origins of Life and Evolution of the Biosphere, 28 (1998), 283-310; S.J. Sowerby, G.B. Petersen, N.G. Holm, Origins of Life and Evolution of the Biosphere, 32 (2001), 35-46.

[3] M.C. Maurel, C. Décout, Tetrahedron, 55 (1999), 3141-3182.

[4] Robin, M.B., Higher Excited States of Polyatomic Molecules. Academic Press, New York, 1974.

[5] C. Chyba, C. Sagan, Nature 355 (1992), 125.

[6] S. Leach, M. Schwell, F. Dulieu, H.-W. Jochims, H. Baumgärtel, Phys. Chem. Chem. Phys. 4 (2002), 5025-5039; S. Leach, M. Schwell, D. Talbi, G. Berthier, K. Hottmann, H.-W. Jochims, H. Baumgärtel, Chem. Phys. 286 (2003), 15-43.

[7] H.W. Jochims, H. Baumgärtel, S. Leach, Astron. & Astrophys. 314 (1996), 1003

[8] M. Schwell, F. Dulieu, H.-W. Jochims, J.-H. Fillion, J.-L. Lemaire, H. Baumgärtel, S. Leach, J. Phys. Chem. A 106 (2002), 10908-10918.

[9] H.W. Jochims, M. Schwell, H. Baumgärtel, S. Leach, Chem. Phys. 314 (2005), 263-282.

[10] M. Schwell, H.W. Jochims, H. Baumgärtel, S. Leach, Planet. Space Sci. 54 (2006), 1073-1085.

[11] H. Cottin, M.C. Gazeau, F. Raulin, Planet. Space Sci., 47 (1999), 1141-1162.

[12] D.E. Shemansky, A.I.F. Stewart, R.A. West, L.W. Esposito, J.T. Hallett, X. Liu, Science, 308 (2005), 978-982.

[13] H.W. Jochims, M. Schwell, J.L Chotin, M. Clémino, F. Dulieu, H. Baumgärtel, S. Leach, Chem. Phys. 298 (2004), 263-282.