Un corps d’écailles et de feu qui s’élance dans la nuit
et la transperce de l’éclat rougeâtre d’un pur diamant, œil
unique, que l’on peut apercevoir à des lieues à la ronde.
Serpent ailé au dents tranchantes comme des rasoirs, gardien de
trésors enfouis qui ne doivent jamais plus étinceler à
la lumière du soleil... Mais aussi, femme-fée, splendide,
à la longue chevelure ondoyante, aux yeux verts transparents. Elle
se défait parfois de ses atours de serpents en fin d’après-midi
pour aller se baigner dans les cascades du Jura et du Doubs. Plus d’un
jeune aventureux, caché dans les fourrés, est déjà
resté fasciné à contempler son corps parfait... Mais
c’est toujours la même histoire : une fois que l’homme a vu le joyau
laissé sans surveillance, son cœur ne bat plus que pour ce trésor
inestimable... On raconte que la Vouivre est aveugle sans ce joyau... Mais
il ne faut pas croire tout ce qu’on raconte... A peine a-t-il mit la main
sur le trésor qu’un cris déchirant retentit et un dragon
énorme bondit de la rivière pour fondre sur le jeune inconscient
que l’on retrouvera le lendemain déchiqueté ou calciné...
Si son cœur ne s’était enflammé que pour la belle, une fleur
offerte, un poème improvisé aurait pu émouvoir la
belle et les mener dans de délicieux ébats... Mais la Vouivre
n’a jamais connu un amour véritable...
La Vouivre à l’époque gardait le trésor d’un riche
seigneur cruel qui était parti se faire décapiter par les
maures au cours d’une croisade. Une misérable femme nommée
Anna Simon et son bébé, sur les conseils d’un ermite, s’étaient
rendus au château abandonné pour essayer d’y trouver de quoi
survivre. « On t’y donnera un trésor. Mais ne prend que ce
dont tu as besoin, pas plus ! » lui avait conseillé le vieux
sage avant de la recommander à Dieu. Tandis qu’elle berçait
l’enfant dans la cour, elle vit le donjon se fendre d’une brèche
qui lui permis d’y pénétrer après avoir laissé
son fils à l’abris d’un buisson. Ce qu’elle vit alors à l’intérieur
l’émerveilla : un amoncellement de pierres précieuses et
de pièces d’or. Anna remplit ses poches, sa ceinture, son bonnet...
Mais à chaque poignée d’or la fissure se refermait un peu
plus et c’est de justesse qu’elle pu se faufiler vers l’extérieur.
Mais là elle dû constater que son bébé avait
disparu. Folle de chagrin elle retourna chez l’ermite : « Je t’avais
prévenue... C’est la Vouivre qui l’a enlevé pour te punir
de ta cupidité. Dans un an jour pour jour tu retourneras au Donjon
et tu déposeras au pied de la tour toutes les pièces que
tu as prises. Alors la Vouivre te rendra ton fils. »
C’est ce qu’elle fit, et son fils lui fut rendu en pleine forme.
La Vouivre est un animal fabuleux, mi-serpent mi-oiseau, qui est représenté
sur plusieurs armoiries de l’Ajoie. Elle tient une place importante dans
la mémoire populaire Jurassienne. Le soir, elle se transforme en
femme pour prendre un bain dans les rivières de la région.
Elle doit alors enlever son œil magique, composé d’une pierre précieuse
aux vertus surnaturelles : elle guérit et donne chance et richesse
à son possesseur.
Beaucoup ont essayé de s’en emparer, mais un seul a réussi.
Un valet de ferme usa un jour de ruse pour réussir là
où ses prédécesseurs avaient échoué
et payé chèrement de leur vie.
Il s’était caché dans un robuste tonneau hérissé
de pointes en acier avec juste une petite ouverture pour lui permettre
de passer la main. Il s’était rendu un soir à l’endroit où
la Vouivre avait coutume de se baigner à l’époque, et bien
à abris dans sa cachette il attendit la bête.
Celle-ci ne tarda pas à se manifester dans un grand battement
d’ailes. Elle se posa sur le rivage, se métamorphosa en une splendide
jeune femme et posa son œil à l’abris d’un buisson. Pendant que
la créature se baignait le jeune homme s’approcha lentement du trésor
et s’en empara.
En un éclair la bête fut sur lui mais son stratagème
fonctionna à merveille : voulant faire éclater le tonneau,
la Vouivre s’enroula tout autour mais les pics eurent tôt fait se
lui déchirer son énorme queue de serpent. C’est en hurlant
de douleur et de dépit que l’animal s’enfuit dans la nuit.
Le jeune valet retourna à sa ferme, où grâce aux
pouvoirs miraculeux de la pierre, il pu soigner son vieux père adoptif
qui était mourant. De ce jour, la prospérité régna
sur leur exploitation et ils ne manquaient pas de faire profiter les autres
villageois de leur bonne fortune.
Quelques temps passèrent...
Mais un jour qu’un groupe de villageois se présentaient chez
eux pour leur présenter quelques doléances, ces derniers
trouvèrent la ferme ravagée. Les corps des deux hommes furent
retrouvés défigurés par une indicible expression d’horreur,
mutilés et calcinés.
La Vouivre était venue reprendre son bien et se venger de l’affront
subit. Puis elle quitta la région. On n’en entendit plus parler.