LA CHIMIE ORGANIQUE DES COMETES

Observations
Télédétection
Mesures in-situ par spectrométrie de masse
Les sources étendues
L'histoire du polyoxymethylène dans les comètes
La source étendue de formaldéhyde
La photodégradation et la radiolyse du POM
Modèles numériques
La physique du noyau
La chimie du noyau
La physique de la coma
La chimie de la coma
Simulations expérimentales
Molécules susceptibles d'être présentes d'après les simulations
Type d'énergie déposée
Irradiation UV
Processus thermiques
Particules chargées
Pertinence des simulations expérimentales


Pendant longtemps, seuls des radicaux ou des ions ont été détectés dans l’atmosphère des comètes : OH., CN., C2.... Ils ont été appelés par les astronomes « molécules filles » car ils sont supposés être les produits de la photodissociation de composés stables émis à partir du noyau : les « molécules mères ». La composition des comètes en éléments volatils n’était donc connue qu’indirectement. En 1973 une première détection de HCN a été effectuée dans le domaine radio pour la comète Kohoutek (Huebner et al., 1974), mais il faudra néanmoins attendre 1986 pour que cette observation soit confirmée lors du passage de la comète de Halley. C’est donc en 1976 que CO a été la première molécule identifiée de façon certaine en UV dans la comète West (Feldman and Brune, 1976a). Nous disposons maintenant de nombreuses informations grâce à des observations en infrarouge, ultraviolet, et radio sur la phase gazeuse, mais aucune ne concerne directement la composition du noyau qui ne peut être qu’extrapolée à partir des observations de la coma ou de quelques mesures in-situ sur des grains de poussière.
Au cours de ce chapitre, nous nous proposons de faire la revue des molécules cométaires détectées et celles susceptibles de l’être en prenant en compte les trois voies d’investigations possibles : les observations, les modèles numériques, et les simulations expérimentales.
 

Observations
Il n’existe donc à ce jour aucune indication directe de la composition du noyau. Les seules données disponibles sont les observations spectroscopiques de comae, ainsi que quelques analyses in-situ principalement effectuées par les sondes Giotto, Vega-1 et 2 durant le passage de la comète de Halley en 1986.

Télédétection
Le principe des observations spectroscopiques est détaillé par Crovisier (1994). A partir de bandes de transitions électroniques ou de vibrations observées, il est assez direct d'obtenir les densités de colonne pour des spectres à bonne résolution et des raies optiquement minces. Les transitions de rotation observées à haute résolution permettent des identifications certaines, mais les vitesses de production sont plus difficiles à obtenir si l’on n’observe pas plusieurs transitions d'une même molécule : leurs intensités relatives permettent en effet d’accéder à la distribution des populations des niveaux de rotation (par exemple CH3OH dans les ondes radio). Dans d'autres cas, il faut s'appuyer sur des modèles assez complexes dans lesquels les molécules évoluent d’un équilibre thermique, régit par les collisions dans la coma interne , vers un équilibre de fluorescence dans la coma externe. De plus, chaque observation est aussi assujettie à une calibration préalable des appareils de mesures qui n’est pas sans poser parfois de réelles difficultés.
 
 
Version Juillet 2001 Table 2-1 : Abondance par rapport à H2O des molécules dans les comae vers 1 UA. A partir de (Crovisier, 1994), et mis à jour pour les détections plus récentes. (* : source étendue)
Références table
Informations complémentaires :

H2O
CO
CO2
CH4
H2CO

CH3OH
C2H2
NH3
HCN et HNC
CH3CN
N2
HAP

On cherche tout d'abord à déterminer la densité de colonne, puis on en déduit le taux de production. On a besoin pour cela de la distribution spatiale qui requiert la connaissance du temps de vie des molécules et de leur vitesse d'expansion.
La vitesse de production est le nombre de molécules éjectées du noyau par seconde, Qg. Pour des comètes typiques on a QH2O= 1027-1030 (Crifo, 1994). L’abondance des autres molécules est en général donnée relativement à celle de l’eau pour la même période d’observation.
Dans la plupart des cas, l’eau est détectée indirectement à partir de ses molécules filles (OH, O, H), mais elle a aussi été détectée directement  dans la coma de certaines comètes (voir par exemple pour la comète Wilson : (Larson et al., 1989) et pour la comète Hale-Bopp : (Crovisier et al., 1997; DelloRusso et al., 1998b). En ce qui concerne la glace d’eau sur le noyau, il est très difficile de l’observer car soit elle est cachée par la coma, soit la comète est trop éloignée pour être observée. Elle a néanmoins récemment été détectée pour la première fois sur les grains de la comète Hale-Bopp (Davies et al., 1997; Lellouch et al., 1998).
L’abondance des molécules détectées en phase gazeuse et quelques limites supérieures sont données dans la Table 2-1. Les références des détections y sont aussi exhaustives que possible afin de permettre de remonter à la source initiale. Il faut noter que les abondances relatives sont entachées d’une certaine incertitude car l'activité des comètes peut varier, et les observations de l’eau et des autres molécules sont rarement simultanées. Dans certains cas, on ne sait même pas si la molécule provient du noyau même, ou bien d'une source étendue dans la coma : poussières ou encore décomposition d’une molécule plus lourde. C’est le cas de CO et H2CO qui pourraient être produits par la photodégradation du polymère du formaldéhyde : le polyoxyméthylène (-CH2-O)n, appelé encore POM (voir par exemple : Boice et al., 1990; DiSanti et al., 1997; Greenberg and Li, 1998; Meier et al., 1993; DiSanti et al., 1999). Le suboxyde de carbone C3O2 a aussi été évoqué pour expliquer la source étendue de CO (Huntress et al., 1991) et bien qu’il n’ait jamais encore été détecté dans les comètes, nous verrons dans une prochaine section qu’il est produit au cours de simulations expérimentales (Brucato et al., 1997a; Moore et al., 1991). Encore récemment, DelloRusso et al., (1998a) ont montré que OCS (carbonyl sulfide) possédait aussi une source étendue dans la comète Hale-Bopp. Nous verrons aussi dans la prochaine section que d’autres molécules, comme HNC (acide isocyanique), pourraient aussi être produites dans la coma par photochimie de petites molécules mères. Il faut donc bien avoir conscience des limitations de la notion d’abondance relative. Nous reviendrons sur cette notion de source étendue.
On peut aussi noter dans ce tableau que la présence de phénanthrène a été proposée par Moreels et al. (1994) et que d’autres HAPs sont aussi suggérés par un motif à 3.28 µm dans plusieurs comètes (Bockelée-Morvan et al., 1995).
 

Mesures in-situ par spectrométrie de masse

Des composés organiques plus lourds que ceux observés par télédétection ont aussi été observés dans la coma de Halley par les spectromètres de masse PICCA, à bord de la sonde Giotto, et PUMA, à bord de Vega-1. Le premier était dédié à l’analyse de la phase gazeuse tandis que le second devait analyser la composition des grains de poussières. Les résultats les plus conséquents ont été obtenus par Kissel et Krueger (Kissel and Krueger, 1987; Krueger and Kissel, 1987). Afin d’interpréter les spectres de masses complexes (Figure 2-1) obtenus par PUMA, ils ont considéré que les processus de dissipation d’énergie à proximité d’une surface solide après un impact sont les mêmes que ceux qui régissent la formation d’ions moléculaires. De tels impacts ont en effet lieu lorsque les particules de poussières cométaires heurtent la cible du spectromètre à temps de vol qu’est PUMA. Cette hypothèse a permis un assez bon accord entre leurs prédictions et d’autres observations concernant des molécules de petite taille (par exemple HCN, CH3CN). Pour des molécules plus importantes le problème est plus compliqué car ces dernières ne survivent pas au transfert de moment cinétique lors de l’impact. C’est pourquoi l’identification annoncée de molécules comme la purine ou encore l’adénine est très spéculative. Néanmoins ces résultats apportent la preuve de la présence sur les comètes de molécules organiques complexes, plus lourdes que celles détectées dans la coma, ce qui va dans le même sens, comme nous le verrons, que les simulations expérimentales.
 
 
Figure 2-1 : Spectres de masses cumulés obtenus par l’instrument PUMA à bord de la sonde Giotto. Des ions moléculaires sont détectés jusqu'à des masses de 160 UMA.

 

Nous reviendrons plus en détail sur la détection du polyoxyméthylène par l’instrument PICCA (Huebner et al., 1987)  et nous nous contenterons pour l’instant de noter avec Mitchell et al. (1992) que les spectres de PICCA tendent à montrer que la coma de Halley avait une composante riche en molécules organiques lourdes composées d’atomes de C, H, O, N. Huebner et al. (1989) ont aussi évoqué la présence de dérivés du POM, comme des copolymères soufrés, ainsi que la présence de polymère du HCN comme le polyaminocyanométhylène (PACM : (NH2-C-CN)n). Ces derniers polymères devraient être assez difficiles à détecter car dans la coma HCN/H2CO~0.1. De plus Krueger et al. (1991) ont calculé à partir de considérations thermodynamiques que les polymères azotés devraient être moins volatiles que les oxygénés. Nous pensons aussi que la présence de copolymères H2CO/HCN devrait être envisagée car ces deux molécules polymérisent très facilement d’elles mêmes.
Les molécules détectées par spectrométrie de masse dans la comète de Halley sont reportées dans la Table 2-2. Nous avons accordé un degré de confiance à chacun de ces composés en croisant ces résultats avec d’autres observations et les simulations expérimentales.
 

1 (Kissel and Krueger, 1987) ; 2 (Krueger and Kissel, 1987) ; 3 (Krueger et al., 1991) ; 4 (Huebner, 1987) ; 5 (Huebner et al., 1989) ; 6 (Korth et al., 1989)

Table 2-2 : Molécules organiques détectées par spectrométrie de masse de gaz et de poussières dans la comète de Halley. Les degrés de confiance accordés aux détections sont établis comme suit : Confirmé : molécule détectée de façon certaine par télédétection, Fort : non détectée par télédétection mais formée après irradiation d’analogues de glaces cométaires en laboratoire, Moyen : molécule seulement détectée en SM avec un bon niveau de confiance selon les auteurs cités ; Faible : molécule déduite des spectres de masse avec une forte incertitude d’après les auteurs eux même.

Les sources étendues
L'histoire du polyoxymethylène dans les comètes
La présence de polyoxyméthylène dans le milieu interstellaire est évoquée dès le milieu des années 70 par Bessel and Wickramasinghe (1975) puis par Cooke and Wickramasinghe (1977). Cette hypothèse est émise en raison de la détection de H2CO en phase gazeuse (première détection en 1969 (Snyder et al., 1969)) et d’un assez bon ajustement des propriétés optiques du POM avec les observations (spectres et polarisation). Pour ce qui concerne les comètes, Vanysek and Wickramasinghe (1975) vont jusqu'à supposer que les signatures spectrales dans l’infrarouge jusqu’alors attribuées aux silicates pourraient justement avoir comme origine le polymère du formaldéhyde. Mais Goldanskii (1977) tempère cet optimisme en montrant, sans pour autant en rejeter la possibilité, que les conditions de formation du POM dans le milieu interstellaire ne sont pas extrêmement favorables. Nos connaissances concernant cet environnement ayant considérablement évoluées depuis cet article, il serait intéressant de reconsidérer la discussion de Goldanskii à la lumière de ce que nous avons appris de nouveau sur les nuages interstellaires. L’auteur fixe en effet la température à 4 K pour ses extrapolations alors qu’elle peut être plus élevée, et cherche à former des polymères de 1000 unités de monomère alors que le polyoxyméthylène peut être constitué de chaînes de 4 à 5 monomères seulement.
Il faut ensuite attendre une dizaine d’années pour que le POM soit à nouveau évoqué dans le contexte cométaire. En effet, en 1987, Huebner interprète le spectre de masse obtenu par l’instrument PICCA à bord de Giotto entre 8200 et 12600 km du noyau, comme étant caractéristique du polyoxyméthylène (Figure A) : l’alternance des motifs de rapport m/z=14 et 16 s’accorde bien à la succession de -CH2- (m = 14) et -O- (m = 16) dont est composé le polymère (Huebner, 1987; Huebner et al., 1987).
L’hypothèse formulée par Huebner semble dans un premier temps être confirmée par les travaux de Möller and Jackson (1990) et Moore and Tanabe (1990) qui réalisent des spectres de masse du POM en accord avec les observations (Figure B). Mais ces conclusions sont rapidement remises en cause par Mitchell et al. (1992) qui montrent que le spectre de masse obtenu n’est pas uniquement caractéristique du POM : la régularité des motifs observés est simplement une signature de la présence d’un mélange de molécules composées de C, H, O, N (Figure C). Ainsi, même si la présence du polymère n’est pas exclue, le spectre de masse observé n’en est pas une preuve suffisante comme l’avait tout d’abord affirmé Huebner. La conclusion de Mitchell et al. va cependant dans le sens de la présence de composés de haut poids moléculaire dans les comètes.
 
 
Figure A : Spectre de masse obtenu par l’instrument PICCA, le 14 Mars 1986 (Spectre moyen entre 8200 et 12600 km du noyau (Huebner, 1987)). Les pics vers m/z = 45 sont saturés, tandis que les masses au delà de 120 sont dominées par le bruit de fond de l’appareil.

 
Figure B : Spectre de masse du POM (Möller and Jackson, 1990). L’alternance des pics à des pas de m/z = 14 et 16 est similaire au spectre précédent.

 
 
 
Figure C : Spectre de masse mesuré par l’instrument PICCA comparé au nombre total de combinaisons entre atomes de C, H, O, N, conduisant à un ion moléculaire pouvant être observé. (Mitchell et al., 1992).

 

Comme nous pouvons le voir, en dehors de certains résultats de simulations expérimentales rapportées plus loin, les discussions concernant la présence ou non de POM sur les comètes restent assez contradictoires.

La source étendue de formaldéhyde
La première détection de H2CO dans une comète remonte à 1986 dans Halley grâce à l’instrument infrarouge IKS à bord de la sonde Vega 1. Ces données ont alors permis d’estimer sa production par rapport à l'eau à environ 4% (Combes et al., 1988) tandis que d'autres observations dans le domaine radio conduisaient à une estimation de 1.5% (Snyder et al., 1989).
Meier et al. (1993) ont étudié précisément les mesures qui ont été effectuées entre 1740 et 4400 km du noyau par le spectromètre de masse NMS à bord de Giotto. Ces auteurs mettent en évidence que la densité du formaldéhyde ne décroît pas en 1/r2 , comme l’on devrait s’y attendre si tout le formaldéhyde était émis à partir du noyau, mais plutôt que la vitesse de production de cette molécule augmente avec la distance (Figure 4-4). Or ces mesures ont été effectuées en une heure de temps environ, ce qui signifierait, si tout le formaldéhyde était émis directement du noyau, que la vitesse de production de H2CO soit multipliée par trois pendant ce laps de temps, alors que les vitesses de production de H2S et CH3OH, par exemple, sont constantes à ± 20%. D’autre part, il ne devrait pas non plus s'agir d'inhomogénéités d’émissions provenant de la surface, car ce qui arrive à 1000 km a le temps d'être bien mélangé.
 
 
Figure 4-4 : Profil de densité de H2CO en fonction de la distance au noyau. Les points sont les densités calculées à partir de mesures du NMS de Giotto pour m/z = 31 (H3CO+), la ligne solide correspond à une régression sur ces points, et les pointillés correspondent à un profil de densité sans source étendue, ajusté sur le point à 1740 km (Meier et al.,1993).

Il existe donc une source étendue de formaldéhyde dans la comète de Halley. Il ne semble pas qu’il s’agisse d’une émission directe de H2CO à partir des grains de poussière car les glaces autour de ces derniers subliment dans les tous premiers kilomètres. De plus, dans cette hypothèse, le phénomène serait aussi observé pour les autres molécules détectées, alors que ce n’est le cas que pour un nombre très restreint de composés (voir Table A). Il est donc très probable que la composante organique réfractaire des grains soit à l’origine de ce phénomène.
Il faut noter qu’une source étendue de formaldéhyde a aussi été observée pour les comètes Hyakutake (Lis et al., 1997 ; Biver et al., 1999) et Hale-Bopp (Bockelée-Morvan et al., 1998). Il s’agit donc d’une caractéristique commune à toutes les comètes qui ont pu être observées jusqu'à présent avec une précision suffisante pour détecter ce phénomène. Il n’existe à ce jour aucun mécanisme permettant d’expliquer cette observation.
 
Molécule présentant une source étendue Comète Référence
H2CO Halley
Hyakutake
Hale-Bopp
(Meier et al., 1993)
(Lis et al., 1997 ; Biver et al., 1999)
(Bockelée-Morvan et al., 1998)
CO Halley
Hyakutake
Hale-Bopp
(Eberhardt et al., 1987)
(DiSanti et al., 1997)
(DiSanti et al., 1999)
OCS Hale-Bopp (DelloRusso et al., 1998)
SO Hale-Bopp (Bockelée-Morvan et al., 1998)
HNC Hale-Bopp (Irvine et al., 1998; Rodgers and Charnley, 1998)
Table A : Molécules présentant des sources étendues dans les comètes. (Les ions et radicaux ont été exclus de cette liste)

Une fraction de la source étendue du monoxyde de carbone peut être liée à celle du formaldéhyde. En effet, la photochimie de H2CO conduit à la formation de CO. Mais la différence entre l’abondance des deux molécules (de l’ordre du pourcent pour H2CO et de la dizaine de pourcents pour CO) exclu que la source étendue du CO (50 % du CO observé à 1 UA dans Hale-Bopp (DiSanti et al., 1999)) provienne uniquement de la chimie du formaldéhyde.

Au vu de ce que nous avons rapporté au début de ce chapitre, c’est bien souvent le polyoxyméthylène qui est évoqué pour expliquer la source étendue du formaldéhyde (voir par exemple Biver (1997); Greenberg and Li (1998); Meier et al. (1993) et Boice et al. (1990)). Comme nous le verrons dans la prochaine section, cette idée est assez cohérente avec ce que l’on connaît de la physico-chimie du POM, mais un manque cruel de données quantitatives empêche toute étude plus poussée qui permettrait de conclure sur la pertinence de cette hypothèse.  C'est ce qui a induit tout le travail réalisé au laboratoire sur les sources étendues et la photodégradation du POM (voir publications et thèse).

La photodégradation et la radiolyse du POM
Le polyoxyméthylène est traditionnellement utilisé comme une source de H2CO lorsque l’on désire disposer du produit pur. En effet, les solutions commerciales de formaldéhyde contiennent du méthanol pour empêcher la polymérisation du produit. On obtient donc H2CO pur par simple chauffage du polyoxyméthylène. Nous devrons donc prendre en compte la dégradation spontanée du POM sous l’action de la chaleur.
Il existe assez peu de données concernant la dégradation du polyoxyméthylène dans des conditions pouvant être appliquées aux comètes. En effet, les études réalisées à ce jour concernent bien souvent la photodégradation oxydante du polymère, c’est dire en présence d’oxygène. Les mécanismes mis en jeu, les produits et les rendements de réaction n’ont donc plus rien en commun avec ce que nous cherchons.
Rabek (1995) n’évoque pour la photodégradation du POM en l’absence d’oxygène que la formation de formaldéhyde, avec du CO, ce dernier étant produit uniquement par photochimie en phase gazeuse. Par contre, la photodégradation oxydante du POM conduit à CO, CO2, HCOOH, CH4 et C2H6. Il faut aussi noter qu’une expérience voisine de la notre a été effectuée grâce à la chambre de simulation KOSI en Allemagne. Roessler et al. (1992) ont en effet irradié du POM à des longueurs d’onde inférieures à 200 nm. Leurs analyses par spectrométrie de masse ont permis d’identifier la formation de CO et H2CO. Les spectres infrarouges du résidu irradié solide indiquent aussi la présence de fonctions ester. L’étude des produits reste cependant à un stade qualitatif et ces travaux n’ont malheureusement pas été poursuivis à notre connaissance.
Il existe par contre plus d’informations concernant la radiolyse du POM. Les principaux résultats à ce sujet ont été obtenus par Fischer and Langbein (1967) qui ont irradié le polymère sous vide (P ~ 10-4 mb) à 14°C avec des électrons de 1 MeV produits à l’aide d’un accélérateur de Van-de-Graaf . Plusieurs composés gazeux ont pu être détectés : H2, CH4, CO, H2CO, CH3CHO, CH3OCHO, CH3OCH2OCH3, CH3OCH2OCHO et H2O. Le rendement de production de formaldéhyde à partir du POM est GH2CO = 4 ± 1. Les irradiations avec des particules énergétiques étant en général plus efficaces que les photons (elles pénètrent en effet plus profondément le matériau et peuvent briser plusieurs liaisons), nous devons nous attendre à obtenir un rendement inférieur au cours de nos expériences.

Le polyoxyméthylène nous semble donc être un bon candidat pour les études que nous voulons entreprendre :
· Il est produit au cours de certaines expériences de simulations expérimentales
· Sa détection dans la comète de Halley est sujette à des controverses mais n’est pas exclue
· Il se dégrade sous l’action de la chaleur, des UV et des particules chargées pour donner principalement H2CO
· Cette dernière molécule possède justement une source étendue dans les comètes.
Le choix de ce polymère est donc approprié pour comprendre quelle peut être la contribution de la phase solide à la composition gazeuse de la coma.
 
 

Modèles numériques
Cette section n’a pas pour ambition de dresser une revue exhaustive de tous les modèles numériques traitant des comètes. Mais plus simplement, au travers de quelques exemples, je vais essayer d’illustrer la variété des approches possibles et faire ressortir l’importance de leur rôle dans l’étude de la chimie cométaire.
Il existe principalement deux grandes familles de modèles numériques concernant les comètes : ceux qui traitent de la physique et ceux qui s’intéressent plutôt à la chimie. Dans les deux cas il peut s’agir de simuler le comportement du noyau ou bien celui de la coma. Les quatre aspects sont bien entendus intimement liés et doivent être pris en compte si l’on veut, par exemple, estimer la composition du noyau à partir d’observations de la coma. En effet, la chimie de la coma ne peut être simulée sans une bonne description des processus d’émission et de transport, mais un tel module de calcul est si complexe et incertain que le schéma chimique doit rester très simple et empêche donc d’obtenir le résultat escompté. Il est donc encore beaucoup trop ambitieux de chercher à traiter ensemble les quatre aspects de la question :

Ils sont donc traités séparément mais nous devons garder à l’esprit qu’ils sont pourtant  intimement liés. Les quatre exemples que nous avons choisis pour illustrer cette approche sont présentés dans la Table 2-3.


Table 2-3 : Quatre exemples de modèles traitant des différents aspects physico-chimiques des comètes

La physique du noyau
L’un des plus récents modèles physique du noyau a été développé par Achim Enzian (Enzian, 1997; Enzian et al., 1997; Enzian et al., 1998). Il tient compte de la cristallisation de la glace amorphe durant laquelle des gaz piégés sont relâchés (principalement CO), de la diffusion des gaz et de la chaleur au travers du noyau, de la sublimation et de la recondensation à l’intérieur de ce dernier. Ce modèle permet de rendre compte de l’activité erratique de la comète 29P/Schwassmann-Wachmann 1 en couplant la cristallisation de la glace aux processus de diffusion. De plus, il montre que la chaleur latente libérée lors de changements de phase de la glace est suffisant pour être à l’origine de l’activité de Hale-Bopp à de grandes distances héliocentriques. De telles simulations numériques permettent de comparer les observations aux simulations réalisées pour différentes compositions initiales du noyau. Enzian a ainsi pu conclure que le meilleur ajustement est obtenu dans le cas d’un noyau composé de glace amorphe, ce qui est cohérent avec les observations et l’hypothèse que les comètes ont pu conserver une composition interstellaire.

La chimie du noyau
Pour ce qui concerne la chimie du noyau, les modèles sont moins complexes du fait du manque de données concernant les mécanismes chimiques et les constantes de vitesse de réactions mettant en jeu des composés cométaires à l’état solide. Navarro-Gonzalez et al. (1992) et Navarro-Gonzalez and Romero (1996) décrivent les effets sur le noyau de radiations ionisantes (rayons cosmiques, radionucléides présents dans le noyau). Les auteurs montrent que la composante primordiale du matériau cométaire ne devrait pas être altérée si ce n’est dans les couches les plus externes. Il est aussi prédit qu’un excès énantiomérique d’un acide aminé comme l’alanine lors de la formation de la comète, ne serait pas perdu par radioracémisation durant la décroissance de radionucleïdes comme 26Al, 40K, 235U, 238U,232Th. Les comètes ont donc pu contribuer à l’origine de la chiralité sur Terre. Néanmoins, ce travail a comme principale limitation le fait que les constantes cinétiques utilisées pour les calculs correspondent à des réactions en phase liquide alors qu’il est probable que de tels processus aient eu lieu dans le noyau en phase solide. Ces résultats doivent donc être considérés avec précaution mais ils montrent, de part l’intérêt des questions qu’ils soulèvent, la nécessité d’approfondir notre connaissance de tels processus et d’obtenir les paramètres cinétiques appropriés pour l’état solide.

La physique de la coma
La coma est un environnement qui est aussi extrêmement complexe à modéliser. Le travail développé dans Crifo et al. (1995); Crifo and Rodionov (1997a); Crifo and Rodionov (1997b) et Crifo et al. (1999) est une progression vers un modèle 3D de la coma dans l’environnement proche du noyau pouvant traiter de noyaux inhomogènes et asphériques en rotation. Il donne la densité et la vitesse des gaz, ainsi que la distribution des poussières dans les premières dizaines de kilomètres du noyau. Il apparaît notamment que les motifs lumineux qui avaient été détectés par Giotto à proximité du noyau de la comète de Halley ne sont pas forcément des traceurs directs de la géométrie de l’activité du noyau. Récemment, Crifo et al. (1999) ont aussi montré que des dissymétries jour-nuit dans la vitesse de la molécule de CO pouvaient survenir même pour une production uniforme tout autour du noyau, uniquement à cause de la distribution de température. Ces travaux renforcent l’idée que sans une bonne compréhension de tous les processus, des interprétations erronées peuvent survenir d’artefacts. Par extension, il faut noter que ceci est d’autant plus vrai en ce qui concerne la chimie : l’apparition ou la disparition de composés peut être la conséquence d’un transport et/ou de photochimie, et seul des modèles évolués permettront de répondre à de telles questions.

La chimie de la coma
Le travail le plus avancé concernant la chimie de la coma est le modèle hydrodynamique décrit dans Huebner et al. (1991); Schmidt et al. (1988) et Wegmann et al. (1987). Les molécules mères quittant le noyau sont transformées en ions et radicaux très réactifs par les UV solaires et les réactions en phase gazeuses résultantes, de plus les interactions physico-chimiques de la coma avec le vent solaire sont prises en compte. Wegmann et al. (1987) présentent des profils de densité d’ions calculés pour la comète de Halley le long de la trajectoire de Giotto. Ce modèle est en assez bon accord avec les mesures in-situ par spectrométrie de masse jusqu'à 21 UMA ; il est par contre beaucoup moins précis pour les ions plus lourds et les estimations faites loin du noyau. C’est sans doute la conséquence directe du manque de données concernant la photochimie de molécules de poids moléculaire important comme celles présentées dans la Table 2-2.
La nécessité de tels modèles chimiques ressort assez spectaculairement des travaux de Irvine et al. (1998a); Irvine et al. (1998b) et Rodgers and Charnley (1998). Pour interpréter le fait que le rapport HNC/HCN n’est pas constant avec la distance héliocentrique de la comète Hale-Bopp, ils ont montré que le HNC détecté n’avait pas été émis directement du noyau mais qu’il était plutôt majoritairement produit par la chimie de HCN dans la coma suivant un mécanisme du type :

HCN + H+ --> HCNH+
HCNH+ + e- --> HNC + H
ou
HCN +H(rapide) --> HNC + H

Selon leurs modèles, 2% du HNC au plus serait émis du noyau.
Ce résultat est particulièrement intéressant car il pourrait remettre en cause les premières conclusions qui avaient été tirées de la détection de HNC dans la comète Hyakutake. En effet, seule une origine interstellaire préservée des glaces cométaires pouvait expliquer une telle abondance dans le noyau. Les choses ne sont donc plus aussi évidentes qu’il semblait alors. De plus, les mécanismes de production de la molécule pourraient varier d’une comète à l’autre, car au contraire d’Hale-Bopp, d’après les mêmes modèles, HNC dans la comète Hyakutake serait émis directement du noyau, ou proviendrait de la photochimie d’une molécule mère (Rodgers and Charnley, 1998). Rien n’est encore certain tant que les modèles n’auront pas été affinés, mais il s’agit d’une bonne illustration de l’importance de telles études.
Nous sommes encore très loin de bien modéliser l’environnement cométaire. Comme l’écrivaient Huebner et al. (1991) : « In a comprehensive, global model, the physics and chemistry of nucleus surface layer, the gas production, the dust entrainment, the dissociation and ionization of the coma gas, the radiation pressure on the dust and gas species, the solar wind interaction with the coma ions and with the coma neutrals through charge exchange and momentum exchange by elastic collisions, and the plasma and dust tail formation (to mention just a few important processes) are closely interwoven. There is little hope that the global model will ever be able to encompass all of these processes. Restricted global models are a natural consequence of this complexity. » Nous avons vu au travers de ces quelques exemples que ce type d’approche est nécessaire pour bien comprendre la chimie cométaire et qu’il est capital de les développer. D’importants biais d’interprétations peuvent surgir d’une vision « simpliste » qui consisterait par exemple en ce qui concerne la chimie, à ne considérer que la photodissociation de molécules mères et de leur produits, émis d’une manière homogène et constante à partir d’un noyau sphérique. De telles approximations étaient nécessaires comme première étape vers une meilleure compréhension des observations et des processus mis en jeu, mais nous voyons maintenant l’importance de bien comprendre si des molécules ont pu être formées ou détruites dans le noyau depuis sa formation, comment elles sont émises et quelles transformations chimiques peuvent avoir lieu dans la coma (réactions entre molécules neutres, ions et radicaux). Plus encore que des problèmes de couplage entre modules physiques et chimiques (temps de calcul, raideur  des modèles), l’une des premières étapes est de combler les lacunes en données photochimiques concernant notamment les molécules lourdes et la phase solide.
Nous allons justement voir dans la prochaine section, au travers de l’apport des simulations expérimentales, l’importance de ces deux dernières composantes.
 

Simulations expérimentales

La troisième façon d’améliorer notre connaissance de la composition des comètes est d’effectuer des simulations expérimentales en laboratoire. Historiquement, dans les années 1970, ces expériences étaient d’abord destinées à étudier la composition des grains de poussières interstellaires, mais elles sont évidemment connectées aux comètes dans l’hypothèse où ces dernières seraient un agrégat de ces poussières. Leur principe général est le suivant : à partir des observations des molécules les plus abondantes dans les comae et le milieu interstellaire, on peut déduire quelle pourrait être la composition majoritaire du noyau en composés volatils. Un échantillon gazeux de certaines de ces espèces est condensé sous vide sur un point froid. Le mélange est irradié par des UV ou des particules chargées pendant et/ou après le dépôt. Parfois les glaces condensées sont simplement lentement réchauffées. Lorsque l’échantillon est ramené à température ambiante, un résidu organique composé de molécules réfractaires demeure sur le substrat alors que les volatils ont sublimé. Mayo Greenberg a baptisé ce résidu « Yellow Stuff ». Bernstein et al. (1997) ont montré que ce résidu ne se forme que lorsque le mélange initial contient des molécules polaires comme CH3OH et NH3. Il existe cependant des zones dans les nuages moléculaires où ce sont majoritairement des composés apolaires, comme N2, CO2, O2, qui sont susceptibles de condenser (Ehrenfreund et al., 1997a). L’irradiation de ce type de glace ne conduit pas à la formation de nouvelles molécules plus lourdes.
Nous verrons que la diversité des composés organiques synthétisés au cours de ce type d’expériences est remarquable et que la liste des molécules identifiées à ce jour est encore loin d’être exhaustive. On constate en premier lieu que les composés les plus simples comme CO, CO2, H2CO et CH4 sont détectés dans presque toutes les expériences à partir du moment où les glaces irradiées contiennent les éléments requis. Pour des molécules plus complexes, nous discuterons dans quelle mesure leur formation dépend de la composition initiale de la glace et de la nature de la source d’énergie.
Il faut noter qu’il existe une autre famille d’expériences dédiées à l’étude du piégeage des gaz dans les glaces. Ces dernières ont déjà été évoquées lors du chapitre précédent (Section 1.2.3). Dans ce chapitre, nous nous consacrerons uniquement aux simulations orientées vers l’étude des transformations chimiques.

Molécules susceptibles d'être présentes d'après les simulations
J’ai regroupé sous deux formes différentes toutes les molécules détectées après des simulations expérimentales entreprises sur des analogues de glaces cométaires et interstellaires :

Au cours des prochaines sections, en fonction des différents apports d’énergie, nous mettrons en avant certaines molécules qui nous semblent de tout premier intérêt dans le contexte cométaire.
 
Table 2-4 : Ensemble des composés détectés après des simulations expérimentales. Les molécules figurant en italique ont été détectées dans les comètes. (t) indique une détection incertaine après les simulations.













Type d'énergie déposée
Trois types de dépôts d’énergie simulent différents processus ayant lieu durant la vie des particules de poussières ou des comètes, dans les nuages interstellaires puis notre système solaire.
Dans les nuages interstellaires, les particules de poussières sont soumises à des apports d’énergie provenant de :

Dans le système solaire, les comètes sont soumises aux mêmes types d’apport d’énergie : Si l’on excepte la phase d’accrétion et les radionucleïdes, ces trois derniers apports d’énergie dans le système solaire n’affectent que les couches superficielles de la comète.
Des différences entre les produits de simulations selon les sources d’énergie pourraient nous donner d’importantes informations concernant l’histoire de la comète. Mais nous verrons qu’à ce jour c’est encore principalement la méthode d’analyse  qui conditionne les molécules détectées, plutôt que le type d’énergie déposée.

Irradiation UV
Les deux principales expériences d’irradiation d’analogues de glaces cométaires dans l’UV se trouvent à Leiden / Pays-Bas (équipe de Greenberg et Schutte) et à AMES / USA (équipe d’Allamandola et Sandford) . Les deux dispositifs sont similaires et étaient d’abord dédiés à l’étude des glaces interstellaires. Ils sont représentés sur les Figures 2-2(a) et 2-2(b). L’irradiation UV est réalisée à l’aide d’une lampe à flux d’hydrogène dans laquelle une décharge est entretenue par une cavité micro-onde. Ce type de lampe délivre principalement des photons de 122 nm (Lyman a), ainsi qu’une large bande de photons autour de 160 nm (voir Allamandola et al. (1988) pour une description détaillée du système).
Il faut tout d’abord noter que les irradiations menées sur des mélanges de glaces apolaires (CO, CO2, O2, N2) ne conduisent pas à la formation de molécules plus lourdes : la photolyse UV libère des atomes O qui conduisent à la formation de CO2, N2O, O3 et CO3. Si l'on ajoute un peu d'H2O à ces glaces on forme le radical HCO° et, à partir d'une certaine quantité d'eau, H2CO. Il n'y a pas de formation de résidu organique lors du réchauffement (Bernstein et al., 1997).
Pour ce qui concerne les glaces composées de molécules polaires comme CH3OH et NH3, une grande diversité de molécules organiques a par contre été identifiée. Par exemple, à partir d’un mélange initial H2O : CO : NH3 (dans un rapport 5 : 5 : 1), la glycine (le plus simple des acides aminés), l’acétamide, la glycéramide, ont été détectées par CPG-SM (Briggs et al., 1992). L’analyse par SM-SM de ces résidus organiques (à partir d’une même composition de départ) a permis la détection de composés plus lourds : molécules cycliques et HAP (Greenberg and Mendoza-Gomez, 1993), qui sont à mettre en relation avec la détection du phénanthrène dans la comète de Halley (Moreels et al., 1994). Il semble donc que la nature des molécules détectées dépende de la méthode analytique utilisée. La nature de la composante la plus lourde des résidus n’est toujours pas connue, mais un rapport de composition élémentaire basé sur la structure générale des spectres de masse est donné par Greenberg and Li (1998) : C : O : N : H = 1 : 0.06 : > 0.001 : 1.1). On constate que l’oxygène et l’azote ne sont que très faiblement incorporés à cette fraction moléculaire plus lourde.
Parmi les molécules synthétisées lors de telles irradiations, l’hexaméthylènetétramine (HMT-C6H12N4) semble être d’une importance tout à fait particulière. Cette molécule d’intérêt exobiologique, puisque son hydrolyse conduit à la formation d’acides aminés (Wolman et al., 1971), a en effet été identifiée en quantité abondante dans des résidus réfractaires par Bernstein et al. (1995). Sa détection a été obtenue par IR, CPG-SM et RMN 13C. Typiquement, pour un mélange de composition initiale H2O : CH3OH : CO : NH3 (10 : 5 : 1 : 1), après irradiation UV, le résidu organique à 300 K contient environ 60% de HMT, ~20% d’éthers et de polymères de la famille du POM et ~20% de cétones et d’amides. Un cinquième du carbone et la moitié de l’azote contenu dans le mélange de glace initial sont retrouvés dans le résidu solide (Bernstein et al., 1995).
 
Figure 2-2 : Quelques dispositifs expérimentaux utilisés pour l’étude d’analogues de glaces cométaires et interstellaires.

La production du HMT est donc très efficace : 60% du résidu est composé de HMT alors que la seule source d’azote, NH3, ne représente que 5 % du mélange initial. Selon Bernstein et al. (1995), une rapide conversion en HMT pourrait expliquer pourquoi la détection d’ammoniac dans les glaces interstellaires est très difficile comparée à sa détection en phase gazeuse (Mauersberger et al., 1992). La présence du HMT dans la comète de Halley a d’ailleurs été évoquée par Kargel (1992) pour expliquer la faible quantité de NH3 observé dans la coma.
Le mécanisme de production du HMT est présenté Figure 2-3. Du formaldéhyde est produit par oxydation UV du méthanol. Il réagit ensuite avec l’ammoniac pour produire de la méthylimine puis son trimère : l’hexahydro-1,3,5-triazine. Des réactions successives avec du formaldéhyde et de l’ammoniac conduisent à la formation du HMT (Bernstein et al., 1995). Selon ces mêmes auteurs, la formation de l’hexahydro-1,3,5-triazine peut aussi être en compétition avec la formation du polyaminométhylène (-CH2-NH-)n/PAM, cependant, la voie vers la formation du HMT semble beaucoup plus rapide. Le méthanol a donc un rôle majeur dans la synthèse, et il a été montré par réactions de composés marqués au 13C, qu’il était la source du carbone dans le HMT. Au vu du mécanisme on peut penser qu’un mélange initial où l’on remplacerait le méthanol par du formaldéhyde donnerait le même résultat. Un tel mécanisme explique aussi pourquoi le HMT n’est qu’un produit minoritaire des expériences de Briggs et al. à partir de mélanges de H2O : CO : NH3. Il est alors certainement produit directement à partir de formaldéhyde qui peut être formé par irradiation de H2O et CO (Allamandola et al., 1988), mais en quantité beaucoup plus faible que les 30% initiaux de méthanol dans les expériences de Bernstein et al.
 
 
Figure 2-3 : Chimie du HMT. Mécanisme de formation à partir de glaces contenant du méthanol, et produits de dégradation par chauffage, UV et hydrolyse. (Bernstein et al., 1995).

La photolyse de HMT dans des matrices d’argon ou d’eau à 10 K produit des nitriles (RCN) et des isonitriles (RNC) (Bernstein et al., 1994). A ce sujet, il est intéressant de noter que le radical CN pourrait avoir une source étendue dans la comète de Halley (Klavetter and A'Hearn, 1994). Selon ces auteurs, des molécules lourdes présentes sur les grains pourraient être à l’origine de ces observations. De plus, la quantité de HCN ne permet pas d’expliquer l’abondance de CN observée dans la plupart des comètes (Crovisier and Schloerb, 1991). Les observations de la comète Hale-Bopp à de grandes distances héliocentriques (>2.9 UA) n’ont pas posé ce type de problème (Rauer et al., 1997), mais peut être qu’à cette distance les grains étaient encore trop froids et insuffisamment irradiés pour produire une source additionnelle (Crovisier, 1998). Pour des distances héliocentriques plus faibles, les distributions de HCN et CN ne semblent pas compatibles, ce qui implique une autre molécule mère pour CN (Woodney et al., 1998). Cependant, l’abondance des autres molécules mères potentielles détectées (HNC, CH3CN, HC3N) est insuffisante pour rendre compte des différences constatées. Toutefois, compte tenu des incertitudes restantes sur les observations, il est toujours possible que nous nous posions un faux problème à ce sujet (Crovisier, communication privée).
Ainsi, ayant été synthétisé dans les glaces interstellaires, le HMT pourrait agir comme une molécules « grand mère » pour la source étendue de CN : HMT --> RCN --> CN. A ce jour, le HMT n’a jamais été détecté dans les comètes. S’il est bien présent, sa détection pourrait être empêchée par les bandes de vibration Si-O et C-O qui se trouvent dans le même région spectrale que les bandes infrarouges les plus intenses du HMT (Bernstein et al., 1995).
D’autres expériences d’irradiation ont été réalisées par cette même équipe sur divers hydrocarbures aromatiques polycycliques contenus dans de la glace d’eau (Bernstein et al., 1999). Il a été montré que les rayonnements ultraviolets induisent dans les HAPs des transformations chimiques qui conduisent à une hydrogénation du composé aromatique et à la formation de fonctions cétone, alcool ou éther. Ces réactions peuvent alors aboutir à la formation de quinones qui sont des molécules essentielles au transfert d’énergie dans certains organismes vivant, et qui sont impliquées dans les processus de photosynthèse.
Enfin, nous rappelons qu’une série de simulations expérimentales ont été réalisées dans la chambre KOSI (Kometen SImulation) en Allemagne (Grün et al., 1991; Huebner, 1991). Cependant les études effectuées ont été principalement axées sur des aspects physiques (émission des gaz et poussières, transport de chaleur).

Processus thermiques
Le polyoxyméthylène, ainsi que des molécules et polymères de la même famille, ont été détectés dans des résidus réfractaires obtenus avec le même montage expérimental que celui présenté Figures 2-2 (a) et (b), alors que plusieurs mélanges de glaces contenant du formaldéhyde et de l’ammoniac étaient lentement ramenés à température ambiante, sans être irradiés comme précédemment. Il est montré que la présence de NH3, même en très faible quantité (0.5%), est nécessaire à la formation du POM (Schutte et al., 1993a; Schutte et al., 1993b). La détection du POM est aussi reportée après irradiation, mais en plus faible quantité (Bernstein et al., 1995).
Il existe de nombreuses différences dans les produits synthétisés avec ou sans irradiation des glaces. Par exemple, sans irradiation UV, le HMT n’est pas détecté, ce qui est assez surprenant car en phase gazeuse, H2O et NH

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réagissent spontanément pour le former (Bernstein et al., 1995; Walker, 1964). De la même manière, la production de cétones, amides et esters, est beaucoup moins importante que lors des expériences d’irradiations. Il semble donc que les photons UV fournissent assez d’énergie pour passer une barrière énergétique qui conduit alors à la formation de telles molécules. Sans UV, la production de POM est favorisée car elle requiert moins d’énergie.

Particules chargées
Bernstein et al. (1995) ont suggéré que l’irradiation d’un mélange de H2O : CH3OH : CO : NH3 avec des particules chargées ne produirait pas du HMT avec la même efficacité que des UV. En effet, plutôt qu’une conversion de CH3OH en H2CO, qui est la première étape du mécanisme de formation du HMT, l’acétone serait synthétisé. Le composé principal du résidu serait alors le polyamino-diméthyl-méthylène PADMM: (-C(CH3)2-NH-)n, polymère dérivé du PAM, selon le mécanisme suivant :

(CH3)2CO + NH3 --> (CH3)2C=NH (imine de l’acétone)

 n (CH3)2C=NH --> (-C(CH3)2-NH-)n

La formation de composés cycliques comme dans le mécanisme présenté Figure 2-3, n’est pas favorisée pour des raisons d’encombrement stérique.
Cette molécule dérivée du PAM n’a pas encore été identifiée après une simulation expérimentale, mais Moore et al. (1996) ont montré qu’en effet l’acétone est bien produit par irradiation avec des protons de 1 MeV d’un mélange H2O : CH3OH, et même CH3OH pur. L’acétone n’est pas détectée si l’irradiation est effectuée avec des UV.
Des investigations détaillées concernant le bombardement d’analogues de glaces cométaires et interstellaires ont été menées par l’équipe de Strazzulla à Catane/Italie. Le dispositif expérimental est représenté sur la Figure 2-2(c). Les ions utilisés peuvent être H+, He+, N+ ou encore Ar+. Le principal résultat de ces investigations est que l’irradiation d’une grande diversité de mélanges de glaces contenant des atomes de carbone conduit à la production d’un matériau amorphe appelé : Ion Produced Hydrogenated Amorphous Carbon (IPHAC) (Strazzulla, 1997; Strazzulla and Baratta, 1991; Strazzulla et al., 1991a). L’évolution des glaces est généralement la suivante : jusqu'à une dose d’environ 10 eV/C (atome de carbone) la glace est partiellement convertie en un matériau réfractaire. Entre 10 et 25 eV/C, une perte importante d’atomes d’hydrogène est observée et la cible évolue vers une composition de molécules organiques de différentes tailles. Pour des irradiations plus fortes, ³ 25 eV/C, le matériau évolue en IPHAC, son stade ultime de dégradation (Strazzulla, 1997). Jenniskens et al. (1993) ont montré que l’irradiation des résidus organiques avec des UV énergétiques (10 eV / environ 124 nm) conduit aussi à la formation d’IPHAC, dont l’acronyme signifierait donc plus généralement Irradiation Produced Hydrogenated Amorphous Carbon. Ainsi, après un temps de résidence suffisamment long dans le milieu interstellaire, les UV et les particules chargées convertissent le manteau organique réfractaire des particules de poussière en carbone amorphe hydrogéné.
Il est intéressant de noter que dans ce type d’expériences, C3O2, qui est parfois évoqué comme origine de la source étendue de CO, a été détecté après irradiation de glaces contenant du CO et du CO2 (Brucato et al., 1997a; Moore et al., 1991).
D’un point de vue exobiologique, les travaux de Kasamatsu et al. (1997) et Kobayashi et al., (1995) ont été les plus fructueux. Leur dispositif expérimental est présenté sur la Figure 2-2(d). Après irradiation avec des protons de 3 MeV, de mélanges de glaces contenant de l’eau, de l’ammoniac et une molécule carbonée (monoxyde de carbone, méthane ou propane), ils ont détecté par HPLC plusieurs acides aminés : la glycine, et pour la première fois après ce type d’expérience, l’alanine, l’acide aminobutyrique et l’acide aminoisobutyrique. Ces derniers composés n’ont pas été détectés directement dans le résidu organique réfractaire, mais après une hydrolyse acide de ce dernier. Les résidus non hydrolysés ne présentent que quelques traces de glycine, dont la détection a déjà été reportée par Briggs et al. (1992) sans que la moindre trace d’eau ne soit introduite dans le protocole. On peut déduire de ces résultats, qu’excepté la glycine, on ne doit guère s’attendre à trouver des acides aminés dans les environnements secs  des comètes et des poussières interstellaires, mais plutôt leurs précurseurs chimiques qui réagissent spontanément en phase aqueuse pour les former. Toutefois, la présence d’acides aminés serait un indicateur d’épisodes humides au cours de la vie des comètes (on pourrait imaginer que dans certaines microcavités du noyau poreux, lors de la sublimation des composés volatiles, on puisse atteindre les pressions suffisantes pour obtenir de l’eau en phase liquide).
Une grande diversité de composés organiques a été obtenue après les expériences présentées par McDonald et al. (1996). La composition initiale de la glace est H2O : CH3OH : CO2 : C2H6 (80 : 16 : 3.2 : 0.8) ; d’après les auteurs, ce mélange est sensé représenter la composition des glaces cométaires. Mais ce choix est clairement discutable si l’on se réfère à la Table 2-1. Les glaces ont été irradiées à 77 K dans un plasma d’Hélium. Les composés obtenus par CPG-SM sont principalement des alcanes, des cétones, et des esters. La température choisie est assez différente de celle des nuages interstellaires (~10 K), mais selon les auteurs ce paramètre ne devrait pas poser de problèmes car il a été montré qu’un mélange H2O : CH3OH déposé à 10 K puis réchauffé ne subit pas de modification notable jusqu'à environ 120 K (Blake et al., 1991). Les auteurs mettent en avant le fait que H2CO n’a pas été détecté au cours de ces expériences, alors qu’il est produit très facilement après irradiation UV de glaces similaires. Ils concluent donc que la présence de formaldéhyde est une signature de l’action d’UV sur la glace. Nous pensons plutôt, après comparaison de l’ensemble des données de la littérature, que ces auteurs commettent l’erreur de placer CO et CO2 sur le même plan. En effet, les expériences UV qu’ils évoquent ont toutes été effectuées avec du CO à 10 K, et produisent bien H2CO (cf Table 2-5), par contre, à notre connaissance, aucune irradiation UV de glace contenant H2O et CO2 n’a été effectuée pour conclure quant à la formation de H2CO. De la même façon, H2CO a été détecté en quantité notable après irradiation avec des protons de glaces H2O : CO (Moore et al., 1991), mais il n’a pas été détecté pour des mélanges H2O : CO2 (Brucato et al., 1997b; Moore et al., 1991), malgré une détection antérieure par Pirronello et al. (1982) dans le même type de glaces. La conclusion de McDonald et al. est donc beaucoup trop sujette à caution pour être considérée. Le dispositif expérimental utilisé ne peut pas prétendre simuler la chimie cométaire car le CO est trop volatil pour être piégé à 77 K. Comme il s’agit de l’un des principaux constituants de la coma, on ne peut envisager d’être représentatif de la chimie du noyau sans lui. Il est donc indispensable de posséder un dispositif permettant de travailler à 10 K. Nous retiendrons néanmoins l’ensemble des leurs molécules détectées lors de ces travaux car malgré ce manque notable, le mélange initial comporte des molécules présentes de façon certaine sur le noyau.

Pertinence des simulations expérimentales
Ce chapitre ne peut être conclu sans une discussion quant à la pertinence du principe des simulations expérimentales que nous avons décrites. Il est bien évident qu’une irradiation de quelques heures ne peut être comparée aux milliards d’années de lente évolution mettant en jeu une chimie hétérogène complexe dans un environnement interstellaire qui ne pourra jamais être reproduit en laboratoire. Néanmoins quelques résultats semblent indiquer que cette piste peut s’avérer fructueuse pour interpréter certaines observations, validant ainsi l’ensemble du protocole.
Dans la région de longueurs d’onde autour de 3.4 mm (2941 cm-1), le spectre infrarouge d’un résidu obtenu après irradiation avec des particules d’un mélange de méthane et de butane, est en très bon accord avec des observations de poussières dans le milieu interstellaire diffus (c’est à dire un matériau qui a subi d’importantes transformations), ainsi qu’avec des spectres de la météorite de Murchinson (Pendleton et al., 1994). Les mêmes résultats ont été obtenus avec des résidus provenant de glaces de H2O : CO : NH3 : CH4/C2H2/CH3OH ayant été exposés à une irradiation solaire directe à bord de la station spatiale EURECA (Greenberg and Li, 1997; Greenberg et al., 1995). Il s’agit là encore de matériau qui a subi d’importantes transformations du fait d’irradiations. Les effets de l'exposition au soleil sont les suivants : la couleur des résidus passe du jaune au marron, ce qui indique une carbonisation plus importante (perte de N, O et H). Le fait que la signature à 3.4 mm ne dépende pas vraiment de la composition initiale de la glace (CH4 ou C2H2 ou CH3OH) semble suggérer que la structure des composés organiques irradiés pendant de longues durées ne dépend que faiblement de leur composition initiale.
Ainsi, l’IPHAC évoqué par Strazzulla, semble se rapprocher du manteau organique réfractaire des grains de poussière dans les conditions difficiles du milieu interstellaire diffus. Il serait le stade ultime d’évolution de la matière organique quelles que soient les molécules initiales et le type d’irradiation. Le manteau organique plus « frais », c’est à dire moins intensément irradié, qui se forme dans les nuages moléculaires, est plus certainement composé de la grande diversité de composés organiques plus ou moins lourds, que nous avons évoqués tout au long de ce chapitre. L’abondance de certaines de ces molécules pourrait être caractéristique de la contribution des différentes sources d’énergie à l’histoire de ces grains et des comètes : UV--> HMT, chaleur --> polymères du type POM ; particules chargées --> PADMM, s’il est effectivement formé (Figure 2-4). Les observations directes de particules de poussières sont difficiles dans les nuages moléculaires car la lumière y est totalement absorbée. Néanmoins, des observations effectuées par ISO (Infrared Space Observatory) sur des glaces dans la nébuleuse protosolaire RAFGL 7009 S (c’est à dire autour d’une étoile en formation), semblent être compatibles avec les observations de comètes du point de vue de l’abondance de H2CO et CO2 (Ehrenfreund et al., 1997b). Par comparaison avec des spectres de glaces de laboratoire Ehrenfreund et al. (1998) concluent à la prédominance des processus thermiques sur les processus radiatifs. D’après ce que nous venons de voir, ceci serait favorable à la formation de POM.
 
 
Figure 2-4 : Particule de poussière interstellaire telle qu’elle peut être incorporée dans une comète. 

 

Les simulations expérimentales permettent donc d’approcher la composition des grains interstellaires et des comètes. Leur démarche « globale » ne permet néanmoins pas de tirer des données physico-chimiques quantitatives qui sont nécessaires à une modélisation satisfaisante des processus mis en jeux.