Observations
Télédétection
Mesures in-situ par spectrométrie
de masse
Les sources étendues
L'histoire du polyoxymethylène dans
les comètes
La source étendue de formaldéhyde
La photodégradation et la radiolyse
du POM
Modèles numériques
La physique du noyau
La chimie du noyau
La physique de la coma
La chimie de la coma
Simulations expérimentales
Molécules susceptibles d'être
présentes d'après les simulations
Type d'énergie déposée
Irradiation UV
Processus thermiques
Particules chargées
Pertinence des simulations expérimentales
Observations
Il n’existe donc à ce jour aucune indication directe de la composition
du noyau. Les seules données disponibles sont les observations spectroscopiques
de comae, ainsi que quelques analyses in-situ principalement effectuées
par les sondes Giotto, Vega-1 et 2 durant le passage de la comète
de Halley en 1986.
Télédétection
Le principe des observations spectroscopiques est détaillé
par Crovisier (1994). A partir de bandes de transitions électroniques
ou de vibrations observées, il est assez direct d'obtenir les densités
de colonne pour des spectres à bonne résolution et des raies
optiquement minces. Les transitions de rotation observées à
haute résolution permettent des identifications certaines, mais
les vitesses de production sont plus difficiles à obtenir si l’on
n’observe pas plusieurs transitions d'une même molécule :
leurs intensités relatives permettent en effet d’accéder
à la distribution des populations des niveaux de rotation (par exemple
CH3OH dans les ondes radio). Dans d'autres cas, il faut s'appuyer
sur des modèles assez complexes dans lesquels les molécules
évoluent d’un équilibre thermique, régit par les collisions
dans la coma interne , vers un équilibre de fluorescence dans la
coma externe. De plus, chaque observation est aussi assujettie à
une calibration préalable des appareils de mesures qui n’est pas
sans poser parfois de réelles difficultés.
Version Juillet 2001 | Table 2-1 : Abondance par rapport à H2O des molécules
dans les comae vers 1 UA. A partir de (Crovisier, 1994), et mis à
jour pour les détections plus récentes. (* : source étendue)
Références table |
|
C2H2 NH3 HCN et HNC CH3CN N2 HAP |
On cherche tout d'abord à déterminer la densité
de colonne, puis on en déduit le taux de production. On a besoin
pour cela de la distribution spatiale qui requiert la connaissance du temps
de vie des molécules et de leur vitesse d'expansion.
La vitesse de production est le nombre de molécules éjectées
du noyau par seconde, Qg. Pour des comètes typiques on a QH2O=
1027-1030 (Crifo, 1994). L’abondance des autres molécules
est en général donnée relativement à celle
de l’eau pour la même période d’observation.
Dans la plupart des cas, l’eau est détectée indirectement
à partir de ses molécules filles (OH, O, H), mais elle a
aussi été détectée directement dans la
coma de certaines comètes (voir par exemple pour la comète
Wilson : (Larson et al., 1989) et pour la comète Hale-Bopp : (Crovisier
et al., 1997; DelloRusso et al., 1998b). En ce qui concerne la glace d’eau
sur le noyau, il est très difficile de l’observer car soit elle
est cachée par la coma, soit la comète est trop éloignée
pour être observée. Elle a néanmoins récemment
été détectée pour la première fois sur
les grains de la comète Hale-Bopp (Davies et al., 1997; Lellouch
et al., 1998).
L’abondance des molécules détectées en phase gazeuse
et quelques limites supérieures sont données dans la Table
2-1. Les références des détections y sont aussi exhaustives
que possible afin de permettre de remonter à la source initiale.
Il faut noter que les abondances relatives sont entachées d’une
certaine incertitude car l'activité des comètes peut varier,
et les observations de l’eau et des autres molécules sont rarement
simultanées. Dans certains cas, on ne sait même pas si la
molécule provient du noyau même, ou bien d'une source étendue
dans la coma : poussières ou encore décomposition d’une molécule
plus lourde. C’est le cas de CO et H2CO qui pourraient être
produits par la photodégradation du polymère du formaldéhyde
: le polyoxyméthylène (-CH2-O)n, appelé
encore POM (voir par exemple : Boice et al., 1990; DiSanti et al., 1997;
Greenberg and Li, 1998; Meier et al., 1993; DiSanti et al., 1999). Le suboxyde
de carbone C3O2 a aussi été évoqué
pour expliquer la source étendue de CO (Huntress et al., 1991) et
bien qu’il n’ait jamais encore été détecté
dans les comètes, nous verrons dans une prochaine section qu’il
est produit au cours de simulations expérimentales (Brucato et al.,
1997a; Moore et al., 1991). Encore récemment, DelloRusso et al.,
(1998a) ont montré que OCS (carbonyl sulfide) possédait aussi
une source étendue dans la comète Hale-Bopp. Nous verrons
aussi dans la prochaine section que d’autres molécules, comme HNC
(acide isocyanique), pourraient aussi être produites dans la coma
par photochimie de petites molécules mères. Il faut donc
bien avoir conscience des limitations de la notion d’abondance relative.
Nous reviendrons sur cette notion de source étendue.
On peut aussi noter dans ce tableau que la présence de phénanthrène
a été proposée par Moreels et al. (1994) et que d’autres
HAPs sont aussi suggérés par un motif à 3.28 µm
dans plusieurs comètes (Bockelée-Morvan et al., 1995).
Mesures in-situ par spectrométrie de masse
Des composés organiques plus lourds que ceux observés
par télédétection ont aussi été observés
dans la coma de Halley par les spectromètres de masse PICCA, à
bord de la sonde Giotto, et PUMA, à bord de Vega-1. Le premier était
dédié à l’analyse de la phase gazeuse tandis que le
second devait analyser la composition des grains de poussières.
Les résultats les plus conséquents ont été
obtenus par Kissel et Krueger (Kissel and Krueger, 1987; Krueger and Kissel,
1987). Afin d’interpréter les spectres de masses complexes (Figure
2-1) obtenus par PUMA, ils ont considéré que les processus
de dissipation d’énergie à proximité d’une surface
solide après un impact sont les mêmes que ceux qui régissent
la formation d’ions moléculaires. De tels impacts ont en effet lieu
lorsque les particules de poussières cométaires heurtent
la cible du spectromètre à temps de vol qu’est PUMA. Cette
hypothèse a permis un assez bon accord entre leurs prédictions
et d’autres observations concernant des molécules de petite taille
(par exemple HCN, CH3CN). Pour des molécules plus importantes
le problème est plus compliqué car ces dernières ne
survivent pas au transfert de moment cinétique lors de l’impact.
C’est pourquoi l’identification annoncée de molécules comme
la purine ou encore l’adénine est très spéculative.
Néanmoins ces résultats apportent la preuve de la présence
sur les comètes de molécules organiques complexes, plus lourdes
que celles détectées dans la coma, ce qui va dans le même
sens, comme nous le verrons, que les simulations expérimentales.
Figure 2-1 : Spectres de masses cumulés obtenus par l’instrument PUMA à bord de la sonde Giotto. Des ions moléculaires sont détectés jusqu'à des masses de 160 UMA. |
Nous reviendrons plus en détail sur la détection du polyoxyméthylène
par l’instrument PICCA (Huebner et al., 1987) et nous nous contenterons
pour l’instant de noter avec Mitchell et al. (1992) que les spectres de
PICCA tendent à montrer que la coma de Halley avait une composante
riche en molécules organiques lourdes composées d’atomes
de C, H, O, N. Huebner et al. (1989) ont aussi évoqué la
présence de dérivés du POM, comme des copolymères
soufrés, ainsi que la présence de polymère du HCN
comme le polyaminocyanométhylène (PACM : (NH2-C-CN)n).
Ces derniers polymères devraient être assez difficiles à
détecter car dans la coma HCN/H2CO~0.1. De plus Krueger
et al. (1991) ont calculé à partir de considérations
thermodynamiques que les polymères azotés devraient être
moins volatiles que les oxygénés. Nous pensons aussi que
la présence de copolymères H2CO/HCN devrait être
envisagée car ces deux molécules polymérisent très
facilement d’elles mêmes.
Les molécules détectées par spectrométrie
de masse dans la comète de Halley sont reportées dans la
Table 2-2. Nous avons accordé un degré de confiance à
chacun de ces composés en croisant ces résultats avec d’autres
observations et les simulations expérimentales.
Les sources étendues
L'histoire du polyoxymethylène
dans les comètes
La présence de polyoxyméthylène dans le milieu
interstellaire est évoquée dès le milieu des années
70 par Bessel and Wickramasinghe (1975) puis par Cooke and Wickramasinghe
(1977). Cette hypothèse est émise en raison de la détection
de H2CO en phase gazeuse (première détection en
1969 (Snyder et al., 1969)) et d’un assez bon ajustement des propriétés
optiques du POM avec les observations (spectres et polarisation). Pour
ce qui concerne les comètes, Vanysek and Wickramasinghe (1975) vont
jusqu'à supposer que les signatures spectrales dans l’infrarouge
jusqu’alors attribuées aux silicates pourraient justement avoir
comme origine le polymère du formaldéhyde. Mais Goldanskii
(1977) tempère cet optimisme en montrant, sans pour autant en rejeter
la possibilité, que les conditions de formation du POM dans le milieu
interstellaire ne sont pas extrêmement favorables. Nos connaissances
concernant cet environnement ayant considérablement évoluées
depuis cet article, il serait intéressant de reconsidérer
la discussion de Goldanskii à la lumière de ce que nous avons
appris de nouveau sur les nuages interstellaires. L’auteur fixe en effet
la température à 4 K pour ses extrapolations alors qu’elle
peut être plus élevée, et cherche à former des
polymères de 1000 unités de monomère alors que le
polyoxyméthylène peut être constitué de chaînes
de 4 à 5 monomères seulement.
Il faut ensuite attendre une dizaine d’années pour que le POM
soit à nouveau évoqué dans le contexte cométaire.
En effet, en 1987, Huebner interprète le spectre de masse obtenu
par l’instrument PICCA à bord de Giotto entre 8200 et 12600 km du
noyau, comme étant caractéristique du polyoxyméthylène
(Figure A) : l’alternance des motifs de rapport m/z=14 et 16 s’accorde
bien à la succession de -CH2- (m = 14) et -O- (m = 16)
dont est composé le polymère (Huebner, 1987; Huebner et al.,
1987).
L’hypothèse formulée par Huebner semble dans un premier
temps être confirmée par les travaux de Möller and Jackson
(1990) et Moore and Tanabe (1990) qui réalisent des spectres de
masse du POM en accord avec les observations (Figure B). Mais ces conclusions
sont rapidement remises en cause par Mitchell et al. (1992) qui montrent
que le spectre de masse obtenu n’est pas uniquement caractéristique
du POM : la régularité des motifs observés est simplement
une signature de la présence d’un mélange de molécules
composées de C, H, O, N (Figure C). Ainsi, même si la présence
du polymère n’est pas exclue, le spectre de masse observé
n’en est pas une preuve suffisante comme l’avait tout d’abord affirmé
Huebner. La conclusion de Mitchell et al. va cependant dans le sens de
la présence de composés de haut poids moléculaire
dans les comètes.
Figure B : Spectre de masse du POM (Möller and Jackson, 1990). L’alternance des pics à des pas de m/z = 14 et 16 est similaire au spectre précédent. |
Comme nous pouvons le voir, en dehors de certains résultats de simulations expérimentales rapportées plus loin, les discussions concernant la présence ou non de POM sur les comètes restent assez contradictoires.
La source étendue de formaldéhyde
La première détection de H2CO dans une comète
remonte à 1986 dans Halley grâce à l’instrument infrarouge
IKS à bord de la sonde Vega 1. Ces données ont alors permis
d’estimer sa production par rapport à l'eau à environ 4%
(Combes et al., 1988) tandis que d'autres observations dans le domaine
radio conduisaient à une estimation de 1.5% (Snyder et al., 1989).
Meier et al. (1993) ont étudié précisément
les mesures qui ont été effectuées entre 1740 et 4400
km du noyau par le spectromètre de masse NMS à bord de Giotto.
Ces auteurs mettent en évidence que la densité du formaldéhyde
ne décroît pas en 1/r2 , comme l’on devrait s’y
attendre si tout le formaldéhyde était émis à
partir du noyau, mais plutôt que la vitesse de production de cette
molécule augmente avec la distance (Figure 4-4). Or ces mesures
ont été effectuées en une heure de temps environ,
ce qui signifierait, si tout le formaldéhyde était émis
directement du noyau, que la vitesse de production de H2CO soit
multipliée par trois pendant ce laps de temps, alors que les vitesses
de production de H2S et CH3OH, par exemple, sont
constantes à ± 20%. D’autre part, il ne devrait pas non plus
s'agir d'inhomogénéités d’émissions provenant
de la surface, car ce qui arrive à 1000 km a le temps d'être
bien mélangé.
Il existe donc une source étendue de formaldéhyde dans
la comète de Halley. Il ne semble pas qu’il s’agisse d’une émission
directe de H2CO à partir des grains de poussière
car les glaces autour de ces derniers subliment dans les tous premiers
kilomètres. De plus, dans cette hypothèse, le phénomène
serait aussi observé pour les autres molécules détectées,
alors que ce n’est le cas que pour un nombre très restreint de composés
(voir Table A). Il est donc très probable que la composante organique
réfractaire des grains soit à l’origine de ce phénomène.
Il faut noter qu’une source étendue de formaldéhyde a
aussi été observée pour les comètes Hyakutake
(Lis et al., 1997 ; Biver et al., 1999) et Hale-Bopp (Bockelée-Morvan
et al., 1998). Il s’agit donc d’une caractéristique commune à
toutes les comètes qui ont pu être observées jusqu'à
présent avec une précision suffisante pour détecter
ce phénomène. Il n’existe à ce jour aucun mécanisme
permettant d’expliquer cette observation.
Molécule présentant une source étendue | Comète | Référence |
H2CO | Halley
Hyakutake Hale-Bopp |
(Meier et al., 1993)
(Lis et al., 1997 ; Biver et al., 1999) (Bockelée-Morvan et al., 1998) |
CO | Halley
Hyakutake Hale-Bopp |
(Eberhardt et al., 1987)
(DiSanti et al., 1997) (DiSanti et al., 1999) |
OCS | Hale-Bopp | (DelloRusso et al., 1998) |
SO | Hale-Bopp | (Bockelée-Morvan et al., 1998) |
HNC | Hale-Bopp | (Irvine et al., 1998; Rodgers and Charnley, 1998) |
Une fraction de la source étendue du monoxyde de carbone peut être liée à celle du formaldéhyde. En effet, la photochimie de H2CO conduit à la formation de CO. Mais la différence entre l’abondance des deux molécules (de l’ordre du pourcent pour H2CO et de la dizaine de pourcents pour CO) exclu que la source étendue du CO (50 % du CO observé à 1 UA dans Hale-Bopp (DiSanti et al., 1999)) provienne uniquement de la chimie du formaldéhyde.
Au vu de ce que nous avons rapporté au début de ce chapitre, c’est bien souvent le polyoxyméthylène qui est évoqué pour expliquer la source étendue du formaldéhyde (voir par exemple Biver (1997); Greenberg and Li (1998); Meier et al. (1993) et Boice et al. (1990)). Comme nous le verrons dans la prochaine section, cette idée est assez cohérente avec ce que l’on connaît de la physico-chimie du POM, mais un manque cruel de données quantitatives empêche toute étude plus poussée qui permettrait de conclure sur la pertinence de cette hypothèse. C'est ce qui a induit tout le travail réalisé au laboratoire sur les sources étendues et la photodégradation du POM (voir publications et thèse).
La photodégradation et la radiolyse
du POM
Le polyoxyméthylène est traditionnellement utilisé
comme une source de H2CO lorsque l’on désire disposer
du produit pur. En effet, les solutions commerciales de formaldéhyde
contiennent du méthanol pour empêcher la polymérisation
du produit. On obtient donc H2CO pur par simple chauffage du
polyoxyméthylène. Nous devrons donc prendre en compte la
dégradation spontanée du POM sous l’action de la chaleur.
Il existe assez peu de données concernant la dégradation
du polyoxyméthylène dans des conditions pouvant être
appliquées aux comètes. En effet, les études réalisées
à ce jour concernent bien souvent la photodégradation oxydante
du polymère, c’est dire en présence d’oxygène. Les
mécanismes mis en jeu, les produits et les rendements de réaction
n’ont donc plus rien en commun avec ce que nous cherchons.
Rabek (1995) n’évoque pour la photodégradation du POM
en l’absence d’oxygène que la formation de formaldéhyde,
avec du CO, ce dernier étant produit uniquement par photochimie
en phase gazeuse. Par contre, la photodégradation oxydante du POM
conduit à CO, CO2, HCOOH, CH4 et C2H6.
Il faut aussi noter qu’une expérience voisine de la notre a été
effectuée grâce à la chambre de simulation KOSI en
Allemagne. Roessler et al. (1992) ont en effet irradié du POM à
des longueurs d’onde inférieures à 200 nm. Leurs analyses
par spectrométrie de masse ont permis d’identifier la formation
de CO et H2CO. Les spectres infrarouges du résidu irradié
solide indiquent aussi la présence de fonctions ester. L’étude
des produits reste cependant à un stade qualitatif et ces travaux
n’ont malheureusement pas été poursuivis à notre connaissance.
Il existe par contre plus d’informations concernant la radiolyse du
POM. Les principaux résultats à ce sujet ont été
obtenus par Fischer and Langbein (1967) qui ont irradié le polymère
sous vide (P ~ 10-4 mb) à 14°C avec des électrons
de 1 MeV produits à l’aide d’un accélérateur de Van-de-Graaf
. Plusieurs composés gazeux ont pu être détectés
: H2, CH4, CO, H2CO, CH3CHO,
CH3OCHO, CH3OCH2OCH3, CH3OCH2OCHO
et H2O. Le rendement de production de formaldéhyde à
partir du POM est GH2CO = 4 ± 1. Les irradiations avec
des particules énergétiques étant en général
plus efficaces que les photons (elles pénètrent en effet
plus profondément le matériau et peuvent briser plusieurs
liaisons), nous devons nous attendre à obtenir un rendement inférieur
au cours de nos expériences.
Le polyoxyméthylène nous semble donc être un bon
candidat pour les études que nous voulons entreprendre :
· Il est produit au cours de certaines expériences de
simulations expérimentales
· Sa détection dans la comète de Halley est sujette
à des controverses mais n’est pas exclue
· Il se dégrade sous l’action de la chaleur, des UV et
des particules chargées pour donner principalement H2CO
· Cette dernière molécule possède justement
une source étendue dans les comètes.
Le choix de ce polymère est donc approprié pour comprendre
quelle peut être la contribution de la phase solide à la composition
gazeuse de la coma.
Modèles numériques
Cette section n’a pas pour ambition de dresser une revue exhaustive
de tous les modèles numériques traitant des comètes.
Mais plus simplement, au travers de quelques exemples, je vais essayer
d’illustrer la variété des approches possibles et faire ressortir
l’importance de leur rôle dans l’étude de la chimie cométaire.
Il existe principalement deux grandes familles de modèles numériques
concernant les comètes : ceux qui traitent de la physique et ceux
qui s’intéressent plutôt à la chimie. Dans les deux
cas il peut s’agir de simuler le comportement du noyau ou bien celui de
la coma. Les quatre aspects sont bien entendus intimement liés et
doivent être pris en compte si l’on veut, par exemple, estimer la
composition du noyau à partir d’observations de la coma. En effet,
la chimie de la coma ne peut être simulée sans une bonne description
des processus d’émission et de transport, mais un tel module de
calcul est si complexe et incertain que le schéma chimique doit
rester très simple et empêche donc d’obtenir le résultat
escompté. Il est donc encore beaucoup trop ambitieux de chercher
à traiter ensemble les quatre aspects de la question :
Table 2-3 : Quatre exemples de modèles traitant des
différents aspects physico-chimiques des comètes
La physique du noyau
L’un des plus récents modèles physique du noyau a été
développé par Achim Enzian (Enzian, 1997; Enzian et al.,
1997; Enzian et al., 1998). Il tient compte de la cristallisation de la
glace amorphe durant laquelle des gaz piégés sont relâchés
(principalement CO), de la diffusion des gaz et de la chaleur au travers
du noyau, de la sublimation et de la recondensation à l’intérieur
de ce dernier. Ce modèle permet de rendre compte de l’activité
erratique de la comète 29P/Schwassmann-Wachmann 1 en couplant la
cristallisation de la glace aux processus de diffusion. De plus, il montre
que la chaleur latente libérée lors de changements de phase
de la glace est suffisant pour être à l’origine de l’activité
de Hale-Bopp à de grandes distances héliocentriques. De telles
simulations numériques permettent de comparer les observations aux
simulations réalisées pour différentes compositions
initiales du noyau. Enzian a ainsi pu conclure que le meilleur ajustement
est obtenu dans le cas d’un noyau composé de glace amorphe, ce qui
est cohérent avec les observations et l’hypothèse que les
comètes ont pu conserver une composition interstellaire.
La chimie du noyau
Pour ce qui concerne la chimie du noyau, les modèles sont moins
complexes du fait du manque de données concernant les mécanismes
chimiques et les constantes de vitesse de réactions mettant en jeu
des composés cométaires à l’état solide. Navarro-Gonzalez
et al. (1992) et Navarro-Gonzalez and Romero (1996) décrivent les
effets sur le noyau de radiations ionisantes (rayons cosmiques, radionucléides
présents dans le noyau). Les auteurs montrent que la composante
primordiale du matériau cométaire ne devrait pas être
altérée si ce n’est dans les couches les plus externes. Il
est aussi prédit qu’un excès énantiomérique
d’un acide aminé comme l’alanine lors de la formation de la comète,
ne serait pas perdu par radioracémisation durant la décroissance
de radionucleïdes comme 26Al, 40K, 235U,
238U,232Th. Les comètes ont donc pu contribuer
à l’origine de la chiralité sur Terre. Néanmoins,
ce travail a comme principale limitation le fait que les constantes cinétiques
utilisées pour les calculs correspondent à des réactions
en phase liquide alors qu’il est probable que de tels processus aient eu
lieu dans le noyau en phase solide. Ces résultats doivent donc être
considérés avec précaution mais ils montrent, de part
l’intérêt des questions qu’ils soulèvent, la nécessité
d’approfondir notre connaissance de tels processus et d’obtenir les paramètres
cinétiques appropriés pour l’état solide.
La physique de la coma
La coma est un environnement qui est aussi extrêmement complexe
à modéliser. Le travail développé dans Crifo
et al. (1995); Crifo and Rodionov (1997a); Crifo and Rodionov (1997b) et
Crifo et al. (1999) est une progression vers un modèle 3D de la
coma dans l’environnement proche du noyau pouvant traiter de noyaux inhomogènes
et asphériques en rotation. Il donne la densité et la vitesse
des gaz, ainsi que la distribution des poussières dans les premières
dizaines de kilomètres du noyau. Il apparaît notamment que
les motifs lumineux qui avaient été détectés
par Giotto à proximité du noyau de la comète de Halley
ne sont pas forcément des traceurs directs de la géométrie
de l’activité du noyau. Récemment, Crifo et al. (1999) ont
aussi montré que des dissymétries jour-nuit dans la vitesse
de la molécule de CO pouvaient survenir même pour une production
uniforme tout autour du noyau, uniquement à cause de la distribution
de température. Ces travaux renforcent l’idée que sans une
bonne compréhension de tous les processus, des interprétations
erronées peuvent survenir d’artefacts. Par extension, il faut noter
que ceci est d’autant plus vrai en ce qui concerne la chimie : l’apparition
ou la disparition de composés peut être la conséquence
d’un transport et/ou de photochimie, et seul des modèles évolués
permettront de répondre à de telles questions.
La chimie de la coma
Le travail le plus avancé concernant la chimie de la coma est
le modèle hydrodynamique décrit dans Huebner et al. (1991);
Schmidt et al. (1988) et Wegmann et al. (1987). Les molécules mères
quittant le noyau sont transformées en ions et radicaux très
réactifs par les UV solaires et les réactions en phase gazeuses
résultantes, de plus les interactions physico-chimiques de la coma
avec le vent solaire sont prises en compte. Wegmann et al. (1987) présentent
des profils de densité d’ions calculés pour la comète
de Halley le long de la trajectoire de Giotto. Ce modèle est en
assez bon accord avec les mesures in-situ par spectrométrie de masse
jusqu'à 21 UMA ; il est par contre beaucoup moins précis
pour les ions plus lourds et les estimations faites loin du noyau. C’est
sans doute la conséquence directe du manque de données concernant
la photochimie de molécules de poids moléculaire important
comme celles présentées dans la Table 2-2.
La nécessité de tels modèles chimiques ressort
assez spectaculairement des travaux de Irvine et al. (1998a); Irvine et
al. (1998b) et Rodgers and Charnley (1998). Pour interpréter le
fait que le rapport HNC/HCN n’est pas constant avec la distance héliocentrique
de la comète Hale-Bopp, ils ont montré que le HNC détecté
n’avait pas été émis directement du noyau mais qu’il
était plutôt majoritairement produit par la chimie de HCN
dans la coma suivant un mécanisme du type :
HCN + H+ --> HCNH+
HCNH+ + e- --> HNC + H
ou
HCN +H(rapide) --> HNC + H
Selon leurs modèles, 2% du HNC au plus serait émis du
noyau.
Ce résultat est particulièrement intéressant car
il pourrait remettre en cause les premières conclusions qui avaient
été tirées de la détection de HNC dans la comète
Hyakutake. En effet, seule une origine interstellaire préservée
des glaces cométaires pouvait expliquer une telle abondance dans
le noyau. Les choses ne sont donc plus aussi évidentes qu’il semblait
alors. De plus, les mécanismes de production de la molécule
pourraient varier d’une comète à l’autre, car au contraire
d’Hale-Bopp, d’après les mêmes modèles, HNC dans la
comète Hyakutake serait émis directement du noyau, ou proviendrait
de la photochimie d’une molécule mère (Rodgers and Charnley,
1998). Rien n’est encore certain tant que les modèles n’auront pas
été affinés, mais il s’agit d’une bonne illustration
de l’importance de telles études.
Nous sommes encore très loin de bien modéliser l’environnement
cométaire. Comme l’écrivaient Huebner et al. (1991) : «
In
a comprehensive, global model, the physics and chemistry of nucleus surface
layer, the gas production, the dust entrainment, the dissociation and ionization
of the coma gas, the radiation pressure on the dust and gas species, the
solar wind interaction with the coma ions and with the coma neutrals through
charge exchange and momentum exchange by elastic collisions, and the plasma
and dust tail formation (to mention just a few important processes) are
closely interwoven. There is little hope that the global model will ever
be able to encompass all of these processes. Restricted global models are
a natural consequence of this complexity. » Nous avons vu au
travers de ces quelques exemples que ce type d’approche est nécessaire
pour bien comprendre la chimie cométaire et qu’il est capital de
les développer. D’importants biais d’interprétations peuvent
surgir d’une vision « simpliste » qui consisterait par exemple
en ce qui concerne la chimie, à ne considérer que la photodissociation
de molécules mères et de leur produits, émis d’une
manière homogène et constante à partir d’un noyau
sphérique. De telles approximations étaient nécessaires
comme première étape vers une meilleure compréhension
des observations et des processus mis en jeu, mais nous voyons maintenant
l’importance de bien comprendre si des molécules ont pu être
formées ou détruites dans le noyau depuis sa formation, comment
elles sont émises et quelles transformations chimiques peuvent avoir
lieu dans la coma (réactions entre molécules neutres, ions
et radicaux). Plus encore que des problèmes de couplage entre modules
physiques et chimiques (temps de calcul, raideur des modèles),
l’une des premières étapes est de combler les lacunes en
données photochimiques concernant notamment les molécules
lourdes et la phase solide.
Nous allons justement voir dans la prochaine section, au travers de
l’apport des simulations expérimentales, l’importance de ces deux
dernières composantes.
La troisième façon d’améliorer notre connaissance
de la composition des comètes est d’effectuer des simulations expérimentales
en laboratoire. Historiquement, dans les années 1970, ces expériences
étaient d’abord destinées à étudier la composition
des grains de poussières interstellaires, mais elles sont évidemment
connectées aux comètes dans l’hypothèse où
ces dernières seraient un agrégat de ces poussières.
Leur principe général est le suivant : à partir des
observations des molécules les plus abondantes dans les comae et
le milieu interstellaire, on peut déduire quelle pourrait être
la composition majoritaire du noyau en composés volatils. Un échantillon
gazeux de certaines de ces espèces est condensé sous vide
sur un point froid. Le mélange est irradié par des UV ou
des particules chargées pendant et/ou après le dépôt.
Parfois les glaces condensées sont simplement lentement réchauffées.
Lorsque l’échantillon est ramené à température
ambiante, un résidu organique composé de molécules
réfractaires demeure sur le substrat alors que les volatils ont
sublimé. Mayo Greenberg a baptisé ce résidu «
Yellow Stuff ». Bernstein et al. (1997) ont montré que ce
résidu ne se forme que lorsque le mélange initial contient
des molécules polaires comme CH3OH et NH3.
Il existe cependant des zones dans les nuages moléculaires où
ce sont majoritairement des composés apolaires, comme N2,
CO2, O2, qui sont susceptibles de condenser (Ehrenfreund
et al., 1997a). L’irradiation de ce type de glace ne conduit pas à
la formation de nouvelles molécules plus lourdes.
Nous verrons que la diversité des composés organiques
synthétisés au cours de ce type d’expériences est
remarquable et que la liste des molécules identifiées à
ce jour est encore loin d’être exhaustive. On constate en premier
lieu que les composés les plus simples comme CO, CO2,
H2CO et CH4 sont détectés dans presque
toutes les expériences à partir du moment où les glaces
irradiées contiennent les éléments requis. Pour des
molécules plus complexes, nous discuterons dans quelle mesure leur
formation dépend de la composition initiale de la glace et de la
nature de la source d’énergie.
Il faut noter qu’il existe une autre famille d’expériences dédiées
à l’étude du piégeage des gaz dans les glaces. Ces
dernières ont déjà été évoquées
lors du chapitre précédent (Section 1.2.3). Dans ce chapitre,
nous nous consacrerons uniquement aux simulations orientées vers
l’étude des transformations chimiques.
Molécules susceptibles
d'être présentes d'après les simulations
J’ai regroupé sous deux formes différentes toutes les
molécules détectées après des simulations expérimentales
entreprises sur des analogues de glaces cométaires et interstellaires
:
Type d'énergie déposée
Trois types de dépôts d’énergie simulent différents
processus ayant lieu durant la vie des particules de poussières
ou des comètes, dans les nuages interstellaires puis notre système
solaire.
Dans les nuages interstellaires, les particules de poussières
sont soumises à des apports d’énergie provenant de :
Irradiation UV
Les deux principales expériences d’irradiation d’analogues de
glaces cométaires dans l’UV se trouvent à
Leiden / Pays-Bas (équipe de Greenberg et Schutte) et à
AMES
/ USA (équipe d’Allamandola et Sandford) . Les deux dispositifs
sont similaires et étaient d’abord dédiés à
l’étude des glaces interstellaires. Ils sont représentés
sur les Figures 2-2(a) et 2-2(b). L’irradiation UV est réalisée
à l’aide d’une lampe à flux d’hydrogène dans laquelle
une décharge est entretenue par une cavité micro-onde. Ce
type de lampe délivre principalement des photons de 122 nm (Lyman
a), ainsi qu’une large bande de photons autour de 160 nm (voir Allamandola
et al. (1988) pour une description détaillée du système).
Il faut tout d’abord noter que les irradiations menées sur des
mélanges de glaces apolaires (CO, CO2, O2,
N2) ne conduisent pas à la formation de molécules
plus lourdes : la photolyse UV libère des atomes O qui conduisent
à la formation de CO2, N2O, O3
et CO3. Si l'on ajoute un peu d'H2O à ces
glaces on forme le radical HCO° et, à partir d'une certaine
quantité d'eau, H2CO. Il n'y a pas de formation de résidu
organique lors du réchauffement (Bernstein et al., 1997).
Pour ce qui concerne les glaces composées de molécules
polaires comme CH3OH et NH3, une grande diversité
de molécules organiques a par contre été identifiée.
Par exemple, à partir d’un mélange initial H2O
: CO : NH3 (dans un rapport 5 : 5 : 1), la glycine (le plus
simple des acides aminés), l’acétamide, la glycéramide,
ont été détectées par CPG-SM (Briggs et al.,
1992). L’analyse par SM-SM de ces résidus organiques (à partir
d’une même composition de départ) a permis la détection
de composés plus lourds : molécules cycliques et HAP (Greenberg
and Mendoza-Gomez, 1993), qui sont à mettre en relation avec la
détection du phénanthrène dans la comète de
Halley (Moreels et al., 1994). Il semble donc que la nature des molécules
détectées dépende de la méthode analytique
utilisée. La nature de la composante la plus lourde des résidus
n’est toujours pas connue, mais un rapport de composition élémentaire
basé sur la structure générale des spectres de masse
est donné par Greenberg and Li (1998) : C : O : N : H = 1 : 0.06
: > 0.001 : 1.1). On constate que l’oxygène et l’azote ne sont que
très faiblement incorporés à cette fraction moléculaire
plus lourde.
Parmi les molécules synthétisées lors de telles
irradiations, l’hexaméthylènetétramine (HMT-C6H12N4)
semble être d’une importance tout à fait particulière.
Cette molécule d’intérêt exobiologique, puisque son
hydrolyse conduit à la formation d’acides aminés (Wolman
et al., 1971), a en effet été identifiée en quantité
abondante dans des résidus réfractaires par Bernstein et
al. (1995). Sa détection a été obtenue par IR, CPG-SM
et RMN 13C. Typiquement, pour un mélange de composition initiale
H2O : CH3OH : CO : NH3 (10 : 5 : 1 : 1),
après irradiation UV, le résidu organique à 300 K
contient environ 60% de HMT, ~20% d’éthers et de polymères
de la famille du POM et ~20% de cétones et d’amides. Un cinquième
du carbone et la moitié de l’azote contenu dans le mélange
de glace initial sont retrouvés dans le résidu solide (Bernstein
et al., 1995).
Figure 2-2 : Quelques dispositifs expérimentaux utilisés pour l’étude d’analogues de glaces cométaires et interstellaires. |
La production du HMT est donc très efficace : 60% du résidu
est composé de HMT alors que la seule source d’azote, NH3,
ne représente que 5 % du mélange initial. Selon Bernstein
et al. (1995), une rapide conversion en HMT pourrait expliquer pourquoi
la détection d’ammoniac dans les glaces interstellaires est très
difficile comparée à sa détection en phase gazeuse
(Mauersberger et al., 1992). La présence du HMT dans la comète
de Halley a d’ailleurs été évoquée par Kargel
(1992) pour expliquer la faible quantité de NH3 observé
dans la coma.
Le mécanisme de production du HMT est présenté
Figure 2-3. Du formaldéhyde est produit par oxydation UV du méthanol.
Il réagit ensuite avec l’ammoniac pour produire de la méthylimine
puis son trimère : l’hexahydro-1,3,5-triazine. Des réactions
successives avec du formaldéhyde et de l’ammoniac conduisent à
la formation du HMT (Bernstein et al., 1995). Selon ces mêmes auteurs,
la formation de l’hexahydro-1,3,5-triazine peut aussi être en compétition
avec la formation du polyaminométhylène (-CH2-NH-)n/PAM,
cependant, la voie vers la formation du HMT semble beaucoup plus rapide.
Le méthanol a donc un rôle majeur dans la synthèse,
et il a été montré par réactions de composés
marqués au 13C, qu’il était la source du carbone dans le
HMT. Au vu du mécanisme on peut penser qu’un mélange initial
où l’on remplacerait le méthanol par du formaldéhyde
donnerait le même résultat. Un tel mécanisme explique
aussi pourquoi le HMT n’est qu’un produit minoritaire des expériences
de Briggs et al. à partir de mélanges de H2O :
CO : NH3. Il est alors certainement produit directement à
partir de formaldéhyde qui peut être formé par irradiation
de H2O et CO (Allamandola et al., 1988), mais en quantité
beaucoup plus faible que les 30% initiaux de méthanol dans les expériences
de Bernstein et al.
Figure 2-3 : Chimie du HMT. Mécanisme de formation à partir de glaces contenant du méthanol, et produits de dégradation par chauffage, UV et hydrolyse. (Bernstein et al., 1995). |
La photolyse de HMT dans des matrices d’argon ou d’eau à 10 K
produit des nitriles (RCN) et des isonitriles (RNC) (Bernstein et al.,
1994). A ce sujet, il est intéressant de noter que le radical CN
pourrait avoir une source étendue dans la comète de Halley
(Klavetter and A'Hearn, 1994). Selon ces auteurs, des molécules
lourdes présentes sur les grains pourraient être à
l’origine de ces observations. De plus, la quantité de HCN ne permet
pas d’expliquer l’abondance de CN observée dans la plupart des comètes
(Crovisier and Schloerb, 1991). Les observations de la comète Hale-Bopp
à de grandes distances héliocentriques (>2.9 UA) n’ont pas
posé ce type de problème (Rauer et al., 1997), mais peut
être qu’à cette distance les grains étaient encore
trop froids et insuffisamment irradiés pour produire une source
additionnelle (Crovisier, 1998). Pour des distances héliocentriques
plus faibles, les distributions de HCN et CN ne semblent pas compatibles,
ce qui implique une autre molécule mère pour CN (Woodney
et al., 1998). Cependant, l’abondance des autres molécules mères
potentielles détectées (HNC, CH3CN, HC3N)
est insuffisante pour rendre compte des différences constatées.
Toutefois, compte tenu des incertitudes restantes sur les observations,
il est toujours possible que nous nous posions un faux problème
à ce sujet (Crovisier, communication privée).
Ainsi, ayant été synthétisé dans les glaces
interstellaires, le HMT pourrait agir comme une molécules «
grand mère » pour la source étendue de CN : HMT -->
RCN --> CN. A ce jour, le HMT n’a jamais été détecté
dans les comètes. S’il est bien présent, sa détection
pourrait être empêchée par les bandes de vibration Si-O
et C-O qui se trouvent dans le même région spectrale que les
bandes infrarouges les plus intenses du HMT (Bernstein et al., 1995).
D’autres expériences d’irradiation ont été réalisées
par cette même équipe sur divers hydrocarbures aromatiques
polycycliques contenus dans de la glace d’eau (Bernstein et al., 1999).
Il a été montré que les rayonnements ultraviolets
induisent dans les HAPs des transformations chimiques qui conduisent à
une hydrogénation du composé aromatique et à la formation
de fonctions cétone, alcool ou éther. Ces réactions
peuvent alors aboutir à la formation de quinones qui sont des molécules
essentielles au transfert d’énergie dans certains organismes vivant,
et qui sont impliquées dans les processus de photosynthèse.
Enfin, nous rappelons qu’une série de simulations expérimentales
ont été réalisées dans la chambre KOSI (Kometen
SImulation) en Allemagne (Grün et al., 1991; Huebner, 1991). Cependant
les études effectuées ont été principalement
axées sur des aspects physiques (émission des gaz et poussières,
transport de chaleur).
Processus thermiques
Le polyoxyméthylène, ainsi que des molécules et
polymères de la même famille, ont été détectés
dans des résidus réfractaires obtenus avec le même
montage expérimental que celui présenté Figures 2-2
(a) et (b), alors que plusieurs mélanges de glaces contenant du
formaldéhyde et de l’ammoniac étaient lentement ramenés
à température ambiante, sans être irradiés comme
précédemment. Il est montré que la présence
de NH3, même en très faible quantité (0.5%), est nécessaire
à
la formation du POM (Schutte et al., 1993a; Schutte et al., 1993b). La
détection du POM est aussi reportée après irradiation,
mais en plus faible quantité (Bernstein et al., 1995).
Il existe de nombreuses différences dans les produits synthétisés
avec ou sans irradiation des glaces. Par exemple, sans irradiation UV,
le HMT n’est pas détecté, ce qui est assez surprenant car
en phase gazeuse, H2O et NH
3réagissent spontanément pour le former (Bernstein et al., 1995; Walker, 1964). De la même manière, la production de cétones, amides et esters, est beaucoup moins importante que lors des expériences d’irradiations. Il semble donc que les photons UV fournissent assez d’énergie pour passer une barrière énergétique qui conduit alors à la formation de telles molécules. Sans UV, la production de POM est favorisée car elle requiert moins d’énergie.
Particules chargées
Bernstein et al. (1995) ont suggéré que l’irradiation
d’un mélange de H2O : CH3OH : CO : NH3
avec des particules chargées ne produirait pas du HMT avec la même
efficacité que des UV. En effet, plutôt qu’une conversion
de CH3OH en H2CO, qui est la première étape du mécanisme
de formation du HMT, l’acétone serait synthétisé.
Le composé principal du résidu serait alors le polyamino-diméthyl-méthylène
PADMM: (-C(CH3)2-NH-)n, polymère dérivé
du PAM, selon le mécanisme suivant :
(CH3)2CO + NH3 --> (CH3)2C=NH (imine de l’acétone)
n (CH3)2C=NH --> (-C(CH3)2-NH-)n
La formation de composés cycliques comme dans le mécanisme
présenté Figure 2-3, n’est pas favorisée pour des
raisons d’encombrement stérique.
Cette molécule dérivée du PAM n’a pas encore été
identifiée après une simulation expérimentale, mais
Moore et al. (1996) ont montré qu’en effet l’acétone est
bien produit par irradiation avec des protons de 1 MeV d’un mélange
H2O : CH3OH, et même CH3OH pur.
L’acétone n’est pas détectée si l’irradiation est
effectuée avec des UV.
Des investigations détaillées concernant le bombardement
d’analogues de glaces cométaires et interstellaires ont été
menées par l’équipe de Strazzulla à Catane/Italie.
Le dispositif expérimental est représenté sur la Figure
2-2(c). Les ions utilisés peuvent être H+, He+,
N+ ou encore Ar+. Le principal résultat de
ces investigations est que l’irradiation d’une grande diversité
de mélanges de glaces contenant des atomes de carbone conduit à
la production d’un matériau amorphe appelé : Ion Produced
Hydrogenated Amorphous Carbon (IPHAC) (Strazzulla, 1997; Strazzulla and
Baratta, 1991; Strazzulla et al., 1991a). L’évolution des glaces
est généralement la suivante : jusqu'à une dose d’environ
10 eV/C (atome de carbone) la glace est partiellement convertie en un matériau
réfractaire. Entre 10 et 25 eV/C, une perte importante d’atomes
d’hydrogène est observée et la cible évolue vers une
composition de molécules organiques de différentes tailles.
Pour des irradiations plus fortes, ³ 25 eV/C, le matériau évolue
en IPHAC, son stade ultime de dégradation (Strazzulla, 1997). Jenniskens
et al. (1993) ont montré que l’irradiation des résidus organiques
avec des UV énergétiques (10 eV / environ 124 nm) conduit
aussi à la formation d’IPHAC, dont l’acronyme signifierait donc
plus généralement Irradiation Produced Hydrogenated Amorphous
Carbon. Ainsi, après un temps de résidence suffisamment long
dans le milieu interstellaire, les UV et les particules chargées
convertissent le manteau organique réfractaire des particules de
poussière en carbone amorphe hydrogéné.
Il est intéressant de noter que dans ce type d’expériences,
C3O2, qui est parfois évoqué comme
origine de la source étendue de CO, a été détecté
après irradiation de glaces contenant du CO et du CO2
(Brucato et al., 1997a; Moore et al., 1991).
D’un point de vue exobiologique, les travaux de Kasamatsu et al. (1997)
et Kobayashi et al., (1995) ont été les plus fructueux. Leur
dispositif expérimental est présenté sur la Figure
2-2(d). Après irradiation avec des protons de 3 MeV, de mélanges
de glaces contenant de l’eau, de l’ammoniac et une molécule carbonée
(monoxyde de carbone, méthane ou propane), ils ont détecté
par HPLC plusieurs acides aminés : la glycine, et pour la première
fois après ce type d’expérience, l’alanine, l’acide aminobutyrique
et l’acide aminoisobutyrique. Ces derniers composés n’ont pas été
détectés directement dans le résidu organique réfractaire,
mais après une hydrolyse acide de ce dernier. Les résidus
non hydrolysés ne présentent que quelques traces de glycine,
dont la détection a déjà été reportée
par Briggs et al. (1992) sans que la moindre trace d’eau ne soit introduite
dans le protocole. On peut déduire de ces résultats, qu’excepté
la glycine, on ne doit guère s’attendre à trouver des acides
aminés dans les environnements secs des comètes et
des poussières interstellaires, mais plutôt leurs précurseurs
chimiques qui réagissent spontanément en phase aqueuse pour
les former. Toutefois, la présence d’acides aminés serait
un indicateur d’épisodes humides au cours de la vie des comètes
(on pourrait imaginer que dans certaines microcavités du noyau poreux,
lors de la sublimation des composés volatiles, on puisse atteindre
les pressions suffisantes pour obtenir de l’eau en phase liquide).
Une grande diversité de composés organiques a été
obtenue après les expériences présentées par
McDonald et al. (1996). La composition initiale de la glace est H2O
: CH3OH : CO2 : C2H6 (80 :
16 : 3.2 : 0.8) ; d’après les auteurs, ce mélange est sensé
représenter la composition des glaces cométaires. Mais ce
choix est clairement discutable si l’on se réfère à
la Table 2-1. Les glaces ont été irradiées à
77 K dans un plasma d’Hélium. Les composés obtenus par CPG-SM
sont principalement des alcanes, des cétones, et des esters. La
température choisie est assez différente de celle des nuages
interstellaires (~10 K), mais selon les auteurs ce paramètre ne
devrait pas poser de problèmes car il a été montré
qu’un mélange H2O : CH3OH déposé
à 10 K puis réchauffé ne subit pas de modification
notable jusqu'à environ 120 K (Blake et al., 1991). Les auteurs
mettent en avant le fait que H2CO n’a pas été
détecté au cours de ces expériences, alors qu’il est
produit très facilement après irradiation UV de glaces similaires.
Ils concluent donc que la présence de formaldéhyde est une
signature de l’action d’UV sur la glace. Nous pensons plutôt, après
comparaison de l’ensemble des données de la littérature,
que ces auteurs commettent l’erreur de placer CO et CO2 sur
le même plan. En effet, les expériences UV qu’ils évoquent
ont toutes été effectuées avec du CO à 10 K,
et produisent bien H2CO (cf Table 2-5), par contre, à
notre connaissance, aucune irradiation UV de glace contenant H2O
et CO2 n’a été effectuée pour conclure
quant à la formation de H2CO. De la même façon,
H2CO a été détecté en quantité
notable après irradiation avec des protons de glaces H2O
: CO (Moore et al., 1991), mais il n’a pas été détecté
pour des mélanges H2O : CO2 (Brucato et al.,
1997b; Moore et al., 1991), malgré une détection antérieure
par Pirronello et al. (1982) dans le même type de glaces. La conclusion
de McDonald et al. est donc beaucoup trop sujette à caution pour
être considérée. Le dispositif expérimental
utilisé ne peut pas prétendre simuler la chimie cométaire
car le CO est trop volatil pour être piégé à
77 K. Comme il s’agit de l’un des principaux constituants de la coma, on
ne peut envisager d’être représentatif de la chimie du noyau
sans lui. Il est donc indispensable de posséder un dispositif permettant
de travailler à 10 K. Nous retiendrons néanmoins l’ensemble
des leurs molécules détectées lors de ces travaux
car malgré ce manque notable, le mélange initial comporte
des molécules présentes de façon certaine sur le noyau.
Pertinence des simulations
expérimentales
Ce chapitre ne peut être conclu sans une discussion quant à
la pertinence du principe des simulations expérimentales que nous
avons décrites. Il est bien évident qu’une irradiation de
quelques heures ne peut être comparée aux milliards d’années
de lente évolution mettant en jeu une chimie hétérogène
complexe dans un environnement interstellaire qui ne pourra jamais être
reproduit en laboratoire. Néanmoins quelques résultats semblent
indiquer que cette piste peut s’avérer fructueuse pour interpréter
certaines observations, validant ainsi l’ensemble du protocole.
Dans la région de longueurs d’onde autour de 3.4 mm (2941 cm-1),
le spectre infrarouge d’un résidu obtenu après irradiation
avec des particules d’un mélange de méthane et de butane,
est en très bon accord avec des observations de poussières
dans le milieu interstellaire diffus (c’est à dire un matériau
qui a subi d’importantes transformations), ainsi qu’avec des spectres de
la météorite de Murchinson (Pendleton et al., 1994). Les
mêmes résultats ont été obtenus avec des résidus
provenant de glaces de H2O : CO : NH3 : CH4/C2H2/CH3OH
ayant été exposés à une irradiation solaire
directe à bord de la station spatiale EURECA (Greenberg and Li,
1997; Greenberg et al., 1995). Il s’agit là encore de matériau
qui a subi d’importantes transformations du fait d’irradiations. Les effets
de l'exposition au soleil sont les suivants : la couleur des résidus
passe du jaune au marron, ce qui indique une carbonisation plus importante
(perte de N, O et H). Le fait que la signature à 3.4 mm ne dépende
pas vraiment de la composition initiale de la glace (CH4 ou
C2H2 ou CH3OH) semble suggérer
que la structure des composés organiques irradiés pendant
de longues durées ne dépend que faiblement de leur composition
initiale.
Ainsi, l’IPHAC évoqué par Strazzulla, semble se rapprocher
du manteau organique réfractaire des grains de poussière
dans les conditions difficiles du milieu interstellaire diffus. Il serait
le stade ultime d’évolution de la matière organique quelles
que soient les molécules initiales et le type d’irradiation. Le
manteau organique plus « frais », c’est à dire moins
intensément irradié, qui se forme dans les nuages moléculaires,
est plus certainement composé de la grande diversité de composés
organiques plus ou moins lourds, que nous avons évoqués tout
au long de ce chapitre. L’abondance de certaines de ces molécules
pourrait être caractéristique de la contribution des différentes
sources d’énergie à l’histoire de ces grains et des comètes
: UV--> HMT, chaleur --> polymères du type POM ; particules chargées
--> PADMM, s’il est effectivement formé (Figure 2-4). Les observations
directes de particules de poussières sont difficiles dans les nuages
moléculaires car la lumière y est totalement absorbée.
Néanmoins, des observations effectuées par ISO (Infrared
Space Observatory) sur des glaces dans la nébuleuse protosolaire
RAFGL 7009 S (c’est à dire autour d’une étoile en formation),
semblent être compatibles avec les observations de comètes
du point de vue de l’abondance de H2CO et CO2 (Ehrenfreund
et al., 1997b). Par comparaison avec des spectres de glaces de laboratoire
Ehrenfreund et al. (1998) concluent à la prédominance des
processus thermiques sur les processus radiatifs. D’après ce que
nous venons de voir, ceci serait favorable à la formation de POM.
Figure 2-4 : Particule de poussière interstellaire telle qu’elle peut être incorporée dans une comète. |
Les simulations expérimentales permettent donc d’approcher la composition des grains interstellaires et des comètes. Leur démarche « globale » ne permet néanmoins pas de tirer des données physico-chimiques quantitatives qui sont nécessaires à une modélisation satisfaisante des processus mis en jeux.