Une brève histoire des comètes
Peurs et Superstitions
Les comètes dans l'histoire de
l'astronomie
Structure
Nomenclature
Les paramètres de la trajectoire
Le noyau
La coma
La queue d'ions, de poussières
et le nuage d'hydrogène
Le chainon manquant entre le milieu
interstellaire et le système solaire ?
Buvons-nous de l'eau interstellaire
?
Of Ices and Men : les comètes
et l'exobiologie
Ce chapitre pourrait très bien commencer par un cliché
littéraire comme : « De tout temps les hommes ont été
fascinés par les comètes », ou encore « Depuis
la nuit des temps les comètes ont offert à nos yeux un fabuleux
spectacle »... Même si l’on ne peut pas être certain
de ce qui traversait l’esprit de nos plus lointains ancêtres, il
est peu probable qu’elles aient pu les laisser indifférents.
En effet, à l’image de ces « petits corps » qui
peuvent devenir pendant plusieurs semaines les objets les plus volumineux
du système solaire, il est remarquable de constater que sur le plan
scientifique comme celui des superstitions, presque tout ce qui est associé
aux comètes prend des proportions sans communes mesures avec ces
blocs de glaces et de poussières de quelques kilomètres de
diamètre. Elles ont été considérées
comme les présages de la mort de rois, de déclins d’empires,
d’épidémies et autres catastrophes en tous genres. On dit
aussi que si elles ont pu permettre à la vie d’apparaître
sur Terre, elles pourraient tout aussi bien la balayer en quelques minutes.
Le petit et le grand, le hasard et le déterminisme, la vie et la
mort, les comètes cristallisent autour d’elles des idées
contradictoires et semblent jouer des peurs humaines et des paradoxes.
Depuis 1986 et le passage de la comète de Halley et, plus récemment,
avec les comètes Hyakutake (1996) et Hale-Bopp (1997), grâce
aussi aux modèles proposés par Whipple, (1950), Greenberg
(1982) puis Lunine et al., (1991) (sur lesquels nous reviendrons), notre
connaissance de ces objets a considérablement progressé.
Au cours de ce chapitre, nous présenterons comment les comètes
ont été perçues de l’antiquité jusqu'à
nos jours et comment les problématiques qui s’articulent actuellement
autour d’elles les placent à la croisée des questionnements
autour des origines du système solaire et des origines de la vie.
Une brève histoire des comètes
La citation systématique et répétitive
de chaque référence associée à cette partie
alourdirait considérablement le texte. Les informations qui ont
permis l’écriture de ce chapitre proviennent de différents
articles de revue, encyclopédies et ouvrages, dont tout particulièrement:
Mozzani, 1995, Verdet, 1987, et Hors Série spécial Comètes
- Ciel et Espace, Juillet-Août 1996 (plus particurlièrement
pour certaines illustrations).
Peurs et Superstitions
Peu de civilisations sont restées insensibles aux comètes.
Les Chaldéens et les Mésopotamiens les vénéraient
et leur offraient de l’encens. Au Mexique et au Pérou, elles étaient
considérées comme le signe annonciateur d’une catastrophe,
et, en Egypte, leur pouvoir prophétique était si fort que
certains astrologues pensaient que prières et sacrifices étaient
vains pour conjurer le sort qu’elles venaient tracer dans le ciel.
Les civilisations grecques et romaines leur accordaient aussi une attention
toute particulière. Ainsi Sénèque écrit dans
ses Questions Naturelles : « S’il apparaît ce corps de flamme
d’une forme rare et insolite, chacun peut voir ce que c’est : on oublie
tout le reste pour s’enquérir du nouveau venu, on ne sait s’il faut
admirer ou trembler, car on ne manque pas de gens qui sèment la
peur, qui tirent de là de graves pronostiques ». Elles
pouvaient être associées à des victoires, comme la
comète de -344 av. J.C. que Thimoléon de Corinthe considéra
comme un présage du succès de son expédition contre
la Sicile, ou encore comme une autre comète qui surgit avant la
prise de Carthage par Scipion au IIIème siècle avant notre
ère. L’une des comètes les plus marquantes de l’Antiquité
fut associée à la mort de Jules César. Mais il est
difficile de conclure avec certitude quant à savoir si elle était
un signe divin annonciateur du meurtre, un vaisseau céleste pour
conduire l’âme de l’empereur parmi les Dieux, ou encore l’annonce
du règne heureux de son successeur Auguste.
Virgile, Homère et Pline, entre autres, les associaient à
des troubles. La comète de 64 plongea Néron dans une telle
inquiétude qu’il chercha à infléchir le funeste présage
qu’il voyait en elle en exécutant certains membres de son entourage
et en poussant au suicide Sénèque et Lucain. Il se suicida
lui même en 66. On dit toutefois que l’empereur Vespasien (69-79)
refusa de sombrer à son tour dans la psychose : « Cette
étoile chevelue ne me regarde pas, elle menace plutôt le rois
des Partes, il est chevelu et je suis chauve ».
Figure 1-1 :
Représentation allégorique assez inquétante d’une comète |
Cependant, depuis cette époque, il n’est désormais plus
de passage de comète qui ne soit associé à une mort
illustre, une marge de quelques années étant même tolérée
par les astrologues : la comète de 451 pour la mort d’Attila en
453 et la comète de 838 pour Louis le Débonnaire qui mourut
en 840. De même l’assassinat d’Henri IV en 1610 fut pour beaucoup
la preuve de la qualité des prédictions funestes émises
à l’occasion de la comète de Halley en 1607. Tout au long
du Moyen-Âge, les comètes firent donc des ravages : Mahomet,
Bolestat Ier, roi de Pologne, Robert, roi de France, Casimir, roi de Pologne,
Henri Ier, roi de France, le pape Alexandre III, Richard Ier, roi d’Angleterre,
Philippe-Auguste, roi de France, l’empereur Frédéric, les
papes Innocent IV et Urbain IV, Charles V, roi de France, Jean Galéas
Visconti, duc de Milan, Charles le téméraire, duc de Bourgogne,
Philippe Ier, roi d’Espagne, Ferdinand le Catholique, roi de Castille,
d’Aragon, de Grenade et de Sicile, François II roi de France et
Elisabeth Ière, reine d’Angleterre, ont succombé aux passages
cométaires des années 632, 1024, 1033, 1058, 1060, 1181,
1198, 1223, 1250, 1254, 1264, 1380, 1402, 1476, 1505, 1516, 1560, et 1603.
Certains préféraient même aller au devant de leur destin
: dans l’Almanach Prophétique Pittoresque et Utile de 1855, il a
été rapporté que c’est l’apparition d’une comète
en 1556 qui poussa Charles Quint, à abdiquer et se retirer dans
un monastère. Ce dernier se serait écrié en apercevant
le présage céleste : « Voilà mes destinés
qui m’appellent par ces indices ». Il est cependant utile de
rappeler qu’à cette époque le roi venait de subir plusieurs
revers militaires et qu’il souffrait de la goutte ; la comète n’a
donc peut être pas joué le rôle décisif qu’on
a voulu lui prêter par la suite.
D’intéressantes théories virent le jour pour tenter d’expliquer
pourquoi les grands de ce monde semblaient être si souvent victimes
des comètes. Un savant italien, Jérôme Cardan, proposa
au XVIème siècle l’hypothèse suivante : « Elles
rendent l’air plus subtil et moins dense, en l’échauffant plus qu’à
l’ordinaire ; les personnes qui vivent au sein de la mollesse, qui ne donnent
aucun exercice à leur corps, qui se nourrissent trop délicatement,
qui sont d’une santé faible, d’un âge avancé et d’un
sommeil peu tranquille, souffrent d’un air moins animé et meurent
souvent par excès de faiblesse. Cela arrive plutôt aux princes
qu’à d’autres à cause du genre de vie qu’ils mènent
».
Malgré cette explication rationnelle, c’est à peu près
à cette époque que les comètes commencèrent
à perdre leur réputation de tueuses de rois et de papes.
Louis XIII et Richelieu moururent sans que la moindre comète ne
vint les saluer. Mazarin, pourtant mourant en 1661, refusa de prêter
une signification à la comète qui parut cette année
là, déclarant que cette dernière lui faisait trop
d’honneur. Louis XIV ignora celle de 1682 et personne n’eût l’idée
de l’associer au décès de Colbert un an plus tard. Mme de
Sévignée écrivit : « Nous avons ici une comète
qui est bien étendue (...) Tous les grands personnages sont alarmés
et croient fermement que le ciel, bien occupé de leur perte, en
donne des avertissements par cette comète... L’orgueil humain se
fait trop d’honneur de croire qu’il y ait de grandes affaires dans les
astres quand on doit mourir ». Elle rejoignait le philosophe
Pierre Bayle qui écrivait la même année dans ses Pensées
Diverses sur la Comète : « Si nous avions une juste idée
de l’univers, nous comprendrions bientôt que la mort ou la naissance
d’un prince est une si petite affaire, eu égard à toute la
nature des choses, que ce n’est pas la peine qu’on s’en remue dans le ciel
». Il n’y eut plus guère que Bonaparte pour déclarer
au passage d’une comète peu avant sa mort en 1821 : « Ce
fut le signe précurseur de la mort de César ».
Au delà des destinées individuelles, la venue d’une comète
pouvait aussi avoir une portée plus générale : si
elle survenait dans le signe du Lion, une guerre ou une sécheresse
était annoncée, dans le signe de la Balance, il s’agissait
de la fin du monde, dans celui du Scorpion il fallait s’attendre à
une abondance de reptiles ou une invasion de sauterelles. La forme qu’elle
prenait et le voisinage des planètes avaient aussi leur signification
: si elle se dirigeait vers Saturne elle indiquait la peste et des révolutions,
vers la Lune, des inondations, si elle avait l’aspect d’une flûte,
on y voyait un présage relatif à l’art musical, une forme
de poignard indiquait une forte mortalité à venir, et enfin,
si elle formait un triangle équilatéral avec des étoiles
fixes elle annonçait le génie et le savoir.
Leur influence pouvait aussi être détournée à
des fins de propagande, comme en témoigne ce portrait de la comète
apparue sur Paris en 1618 : « La comète apporte grandes
désolations, pestilences, guerres, famines et plusieurs autres malheurs,
persécutions... apparus depuis peu. Cette terreur doit répandre
son influence sur les nations étrangères, non sur les Français
qui sont sous la très heureuse et assurée protection de Louis
Le Juste, notre Roy ».
La comète de 1811, censée tout d’abord être un
signe positif avant la campagne de Russie qu’allait bientôt entreprendre
Napoléon, puis ensuite l’annonciatrice de sa débâcle,
eût une répercussion assez inédite : les vins furent
excellents et les crus 1811 reçurent l’appellation de « vin
de la comète ».
Figure 1-2 :
Caricature de Daumier : "Monsieur Babinet prévenu par sa portière de la visite de la comète''. |
Des progrès de la science surgirent deux nouvelles inquiétudes
: l’empoisonnement et l’impact. Edgar Poe exposa une variante de la première
idée en 1839 dans une nouvelle intitulée Conversations
d’Eiros avec Charmion. Son hypothèse était que les
constituants de la queue des comètes avait une affinité particulière
pour absorber l’azote de notre atmosphère. Les êtres vivants
respirant alors une atmosphère considérablement enrichie
en oxygène risquaient d’entrer spontanément en combustion.
Dans le même registre de peurs, l’annonce en 1868 de la détection
d’un poison comme le C2N2 (qui n’a toujours été
confirmée depuis) provoqua un véritable vent de panique quand
on apprit que la Terre devait traverser la queue de la comète de
Halley attendue pour 1910. On rapporte à ce sujet des suicides dans
plusieurs pays d’Europe et les « Pilules de la Comète »
vendues comme antidotes devinrent un marché très lucratif.
Au début des années 1980, l’astrophysicien Fred Hoyle tenta
de montrer que la fréquence et la prolifération d’épidémies
comme la grippe, la variole ou encore la peste, pouvaient parfaitement
correspondre à un ensemencement cométaire de notre planète
en bactéries et virus. Par la suite Wickramasinghe et al. (1988),
ont comparé des spectres infrarouges cométaires avec des
spectres de virus et de bactéries et sont parvenus à obtenir
un ajustement tout aussi satisfaisant que des modèles de silicates
et composés organiques proposés plus généralement.
Mais le gros handicap de ces travaux et qu’ils ne peuvent répondre
aux questions : comment ces bactéries sont elles arrivées
là et comment ont-elles bien pu y survivre ?
Fruit de la mécanique Newtonienne, l’hypothèse d’un impact
avec la Terre fut évoquée en 1736 par Lalande dans ses Réflexions
sur les comètes. Un siècle plus tard, les calculs de Damoiseau
et d’Olbers semèrent la terreur en concluant que la comète
de Biela devait traverser l’orbite terrestre le 29 décembre 1832
à une distance critique de notre planète. Arago réussit
à ramener le calme en montrant que la Terre ne passerait en ce point
qu’un mois après la comète, qui la frôlerait donc à
80 millions de kilomètres de distance. Aujourd’hui, ressuscitée
par la rencontre de la comète Shoemaker-Levy 9 avec Jupiter en 1994,
et relayée par de récents films hollywoodiens comme Deep
Impact (1998), la crainte d’une collision émerge à nouveau.
On découvre que notre système solaire est bien plus encombré
qu’on ne le pensait jusqu'à il y a quelques années encore.
Il suffirait d’un bolide de quelques kilomètres pour entraîner
des conséquences fatales à l’humanité. Des campagnes
de surveillance et des scénarios de défense sont développés
(programme Spaceguard Survey de la NASA) pour éviter qu’un simple
coup de malchance ne vienne donner raison à des siècles de
superstitions.
Figure 1-3 :
Représentation d’un impact cométaire avec la Terre en 1857. |
Enfin, l’une des plus récentes illustrations du pouvoir de fascination
qu’exercent les comètes remonte au passage de la comète Hale-Bopp
en 1997. 39 membres de la secte américaine Heaven’s Gate se donnèrent
la mort le 26 Mars 1997 pour que leurs âmes puissent rejoindre un
vaisseau spatial caché dans son sillage. Une pétition circula
sur internet pour exiger de la Nasa qu’elle publie des photos qui confirmerait
cette hypothèse. Même si les avancées scientifiques
ont permis de faire reculer les anciens mythes, ils semblent resurgir de
chaque zone d’ombre qui ne manque pas d’émerger à mesure
que nous pénétrons les secrets de ces vagabondes du ciel.
Mais comme pour venir contrebalancer ces superstitions, les comètes
ont aussi permis de faire progresser considérablement notre vision
du cosmos. Grâce aux développements de la mécanique
Newtonienne, elles ont apporté aux astronomes un éclairage
nouveau sur la nature de notre système solaire.
Les comètes dans l'histoire
de l'astronomie
Les plus anciennes traces d’observations de comètes remontent
au IVème av. J.C. Il s’agit d’un livre de soie qui été
exhumé en 1974 avec la tombe du marquis de Dai, en Chine, près
de la ville de Changsa. On peut y relever 29 types de comètes, associés
à une prédiction. La qualité et la précision
des observations chinoises fit que son astronomie prit une avance considérable
par rapport à l’occident enfermée dans une vision héritée
à la fois de l’Antiquité et de la Bible. Dès le VIIème
siècle les astronomes Chinois rapportent que « les comètes
ne brillent pas par elles-mêmes, elles ne s’allument que lorsqu’elles
sont baignées par le Soleil. (...) Une comète pointe toujours
sa queue à l’opposé du Soleil dans la direction des rayons
solaires ». Ces constatations ne furent émises en occident
qu’à partir de 1531 par Jérôme Frascator et Peter Bennewitz.
Et quant à l’idée que les comètes « brûlent
», elle est encore largement répandue de nos jours.
Figure 1-4 : Fragment du livre de soie, datant probablement du IVème siècle av. J.C., contenant les plus anciennes représentations de comètes découvertes à ce jour. |
Les comètes, dans la seconde moitié du XVIème siècle,
vont contribuer à remettre en question la vision du cosmos héritée
d’Aristote et de Ptolémée, qui faisait loi en occident. La
Terre était au centre de l’univers, immobile, entourée d’orbes
concentriques sur lesquelles se mouvaient les astres. D’abord la Lune,
puis le Soleil, les planètes, et enfin une sphère fixe sur
laquelle étaient fixées les étoiles. Le domaine compris
entre la Terre et la Lune était celui de l’impur et du périssable,
alors qu’au delà s’étendait un espace pur et immuable.
Figure 1-5 :
Vision primitive du cosmos selon Aristote et Ptolémée |
Les comètes, par leur nature même de phénomène
imprévisible et temporaire, devaient donc être confinées
entre la Terre et la Lune. Elles étaient classées parmi les
événements météorologiques, au même titre
qu’une averse ou une tornade. L’une des toutes premières définition
d’une comète est donnée par Aristote dans ses Météorologiques
: « Nous avons établi que dans le monde qui nous entoure,
la première partie de ce qui est au-dessous des sphères circulaires,
est une exhalaison sèche et chaude. Cette exhalaison elle-même,
avec une grande partie de l’air qui est au-dessous d’elle et lui est contigu,
est emportée autour de la terre par la translation et le mouvement
circulaire. (...) Lorsque, dans une telle condensation, un principe igné
fait irruption par suite du mouvement des corps de la zone supérieure,
sans que ce principe soit en quantité suffisante pour assurer une
combustion rapide et complète, ni si faible qu’il s’éteigne
rapidement, mais s’il a une force convenable et une large emprise, et qu’en
même temps une exhalaison bien mélangée monte de la
terre vers cette zone de concentration, ce phénomène donne
naissance à une comète. ».
Parmi les anciens, seul Sénèque plaçait les comètes
avec les planètes et proposait d’étudier leurs trajectoires
afin de déterminer si leur passage était périodique.
Il paraît maintenant avoir été un véritable
visionnaire : « Pourquoi s'étonner que les comètes
dont le monde a si rarement le spectacle ne soient point pour nous astreintes
à des lois fixes, et que l'on ne connaisse ni d'où viennent
ni où s'arrêtent ces corps dont les retours n'ont lieu qu'à
d'immenses intervalles ? Le temps viendra où une étude attentive
et poursuivie pendant des siècles fera le jour sur ces phénomènes
de la nature. Il naîtra quelque jour un homme qui démontrera
dans quelle partie du ciel errent les comètes, pourquoi elles marchent
si fort à l'écart des autres planètes, quelles sont
leur grandeur et leur nature » (Les questions naturelles). Mais
c’est la vision d’Aristote qui s’imposa et qui pesa sur l’astronomie occidentale
pendant près de vingt siècles.
En 1543, Copernic place le soleil au centre de l’univers, la Terre
autour du soleil, et la Lune devient un satellite orbitant autour de notre
planète. Ce système est malgré tout encore loin de
s’imposer mais augure de la révolution qui s’annonce.
Entre le 13 Novembre 1577 et le 26 Janvier 1578, l’astronome danois
Tycho Brahé observe une comète et estime sa distance à
plus de 230 rayons terrestres, en utilisant la méthode des parallaxes.
Il l’envoie ainsi au-delà de l’orbe de la Lune, lui fait traverser
les différentes sphères du monde réputé pur
et immuable, remettant ainsi sérieusement en cause les à
priori métaphysiques qui prévalaient jusqu’alors. Il écrit
en 1588, à partir de ses observations de comètes, que «
la
machine du ciel n’est pas un corps dur et impénétrable rempli
de sphères réelles comme cela a été cru jusqu'à
présent par la plupart des gens. Je prouverai que le ciel s’étend
dans toutes les directions, parfaitement fluide et simple, sans présenter
nulle part le moindre obstacle. »
Pourtant, la plus grande partie des astronomes continuent à
considérer les comètes comme des événements
se déroulant entre la Terre et la Lune. Pour d’autres, comme Kepler
et Descartes, elles traversent tout l’univers en ligne droite.
En 1680, George Samuel Doerffel, pasteur de Pleuen en Saxe, affirme
d’après ses observations d’une comète que l’orbite de cette
dernière est une parabole dont le soleil est le foyer. Mais c’est
finalement grâce à la comète de 1682 que toute la lumière
sera faite sur les mystérieux objets célestes, et que seront
définitivement abandonnés les anciennes visions du cosmos
pour ouvrir la voie à l’astronomie moderne. Sir Edmund Halley, s’appuyant
sur les récents travaux de Newton, montre que cette nouvelle comète
a une orbite elliptique dont le soleil occupe l’un des foyers. En consultant
des archives, il découvre que des comètes brillantes, avec
une orbite similaire, sont déjà passées en 1531 et
1607. Il est le premier a supposer qu’il s’agit du passage d’un seul et
même objet qui portera bientôt son nom : la comète de
Halley. Il prédit même avec succès son retour pour
1759. On a depuis retrouvé la trace de la comète de Halley
jusqu’en 239 avant J.C, et un passage en - 466 a même pu être
mis en évidence. Cette prévision historique fut la démonstration
magistrale de la portée de la mécanique céleste qui
balaya définitivement les visions antiques du cosmos au profit des
modèles de Copernic et de Kepler.
Structure
Le modèle de boules de neige sales pour décrire le noyau
des comètes, proposé par Whipple (1950) a marqué le
début de l’ère moderne de l’étude des comètes.
Depuis, cette représentation a un peu évolué, mais
les observations (du sol ou bien in-situ) ont montré que ces objets
étaient en effet un mélange de glaces et de poussières
en proportions variables, qui n’ont pas été incorporées
aux planètes lors de la formation du système solaire. Leur
trajectoire est elliptique, parabolique ou bien hyperbolique, avec le soleil
occupant l’un des foyers.
Nomenclature
Traditionnellement, chaque comète reçoit le nom de son
ou ses découvreurs. Depuis le 1er Janvier 1995 l’Union Astronomique
Internationale et le Minor Planet Center ont la charge d’une nouvelle nomenclature
officielle.
La nomenclature utilisée par les astronomes professionnels pour
désigner la comète Hale-Bopp est C/1995 O1. La lettre ‘C’
indique qu’il s’agit d’une comète à longue période.
Un ‘P’ indiquerait que sa période est inférieure à
200 ans (P/Halley = 76 ans). ‘A’ désigne un astéroïde,
‘D’ une comète « morte » (Shoemaker-Levy par exemple,
qui est entrée en collision avec Jupiter), et ‘X’ une comète
dont l’orbite est encore incertaine. ‘1995 O1’ indique qu’il s’agit de
la première comète (‘1’) découverte dans la seconde
moitié de Juillet 1995 (‘O’). Le décompte des mois se fait
par moitiés, commençant avec ‘A’ pour la première
moitié de Janvier, ‘B’ pour la seconde moitié du mois, etc...
La lettre ‘I’ n’est pas utilisée. A la redécouverte après
une seconde apparition, ou après l’aphélie, les comètes
périodiques reçoivent un numéro d’ordre : 1P/Halley,
46P/Wirtanen.
(source MPC : http://cfa-www.harvard.edu/cfa/ps/lists/PeriodicCodes1.html)
On regroupe aussi les comètes à courte période
par familles. La famille de Jupiter comprend les comètes dont les
orbites ne les éloignent pas à plus d’environ 7 UA du Soleil,
et qui restent au voisinage immédiat du plan de l’écliptique.
On pense qu’elles proviennent pour la plupart de la ceinture de Kuiper.
Pour les autres comètes, on parle de comètes de la famille
de Halley ; elles peuvent provenir de n’importe quel point de l’espace
et ont le nuage d’Oort pour origine.
883 comètes étaient répertoriées dans l’édition
de 1996 du « Catalog of cometary orbits » de Mardsen et Williams.
185 sont des comètes à courtes périodes, dont 162
sont de la famille de Jupiter (P<20 ans) et 23 de la famille de Halley
(20<P<200 ans). En ce qui concerne les 698 comètes restantes,
347 ont une orbite parabolique (leur excentricité ne peut pas être
distinguée de 1 dans les limites de précision des observations),
213 sont elliptiques (avec P>200 ans) et 138 sont hyperboliques.
Les paramètres de la trajectoire
Les paramètres suivants permettent de déterminer la trajectoire
de la comète :
L’excentricité e : L’orbite de la comète
peut être quasiment circulaire (e=0), elliptique (e<1), parabolique
(e=1) ou hyperbolique (e>1). Dans les deux derniers cas il s’agit d’une
comète non périodique qui n’effectue qu’un seul passage dans
le système solaire.
L’inclinaison i : C’est l’angle que fait le plan d’orbite
de la comète avec celui de l’écliptique. Il peut varier entre
0 et 180°, les comètes non périodiques pouvant surgir
de n’importe quelle région de l’espace. En ce qui concerne les comètes
à courte période, la plupart d’entre elles ont une inclinaison
voisine de zéro.
Le périhélie : Point de la trajectoire le plus
proche du soleil. La distance au soleil en ce point varie selon les comètes.
Elle peut aller de 0.01 UA à plus de 8 UA.
L’aphélie : C’est le point de la trajectoire le plus
éloigné du soleil.
La longitude du noeud ascendant W : Le noeud ascendant
est le premier point où l’orbite de la comète croise l’écliptique.
La longitude, mesurée en degrés, est l’angle que fait la
droite passant par le soleil et le noeud ascendant, avec la direction du
point vernal (point où le soleil, au cours de son trajet dans notre
ciel, coupe l’équateur céleste à l’équinoxe
de printemps).
L’Argument du périhélie w : Angle entre
la direction du périhélie (par rapport au soleil), et celle
de la ligne des noeuds ascendant et descendant.
Figure 1-6 :
Paramètres de la trajectoire d’une comète. (Figure provenant du Club Astronomie de l'Ecole Centrale Paris) |
L’attraction d’une planète peut considérablement modifier
l’orbite d’une comète, au point que cette dernière soit capturée
et se satellise autour. Après plusieurs tours, il peut arriver qu’elle
retourne sur une trajectoire autour du soleil. D’autres peuvent passer
d’une orbite elliptique à une orbite hyperbolique qui les conduit
hors du système solaire. En ce qui concerne Hale-Bopp, qui est déjà
passée près du Soleil il y a 4200 ans, sa course a été
modifiée en 1986 par l’attraction de Jupiter. Elle reviendra alors
dans « seulement » 2380 ans.
Le noyau
C’est un agglomérat de glaces et de poussières, ce qui
lui donne une structure plutôt irrégulière. Son rayon
peut être de plusieurs centaines de mètres, jusqu'à
une dizaine de kilomètres. Sa densité n’est pour l’instant
que très peu contrainte par les observations : entre 0.1 et 0.9
(voir par exemple la revue de Crovisier (1997)). Il est relativement fragile,
et il arrive que sous l’action de l’attraction du soleil, ou d’un autre
corps, le noyau se brise en plusieurs parties, comme ce fut le cas pour
la comète Shoemaker-Levy 9 avant son impact avec Jupiter.
Il est difficile d’estimer la durée de vie d’un noyau. On pense
qu’au fur et à mesure de ses passages près du Soleil son
activité s’amenuise jusqu'à ne plus pouvoir être distingué
d’un astéroïde. Un calcul très simplifié nous
permet néanmoins de montrer que les comètes peuvent effectuer
de nombreux passages au périhélie avant de « s’éteindre
». Le rayon de la comète Hale-Bopp est estimé à
20 km (Weaver et al., 1997). Sa production de molécules d’eau est
de l’ordre de 8.1030 molec/s à 1 UA. En supposant une
densité d’environ 0.5 tonne/m3, un rapport massique eau/poussière=1
et uniquement la perte en eau, la comète pourrait « survivre
» 1107 années. Comme elle ne développe une telle activité
que quelques semaines lors de son approche du soleil, sa durée de
vie est considérablement plus longue.
Greenberg a proposé un modèle qui décrit le noyau
comme étant constitué par des particules de poussières
interstellaires (principalement des silicates) recouvertes d’un manteau
réfractaire de composés organiques synthétisés
dans le nuage présolaire, puis de composés plus volatils
condensés (principalement H2O) (Greenberg, 1982). Mayo Greenberg
a récemment estimé à partir d’observations et de résultats
de simulations expérimentales les fractions massiques suivantes
dans les noyaux : 26% de silicates, 23% de molécules organiques
réfractaires, 9% de particules carbonées (HAP ?), les 42
% restant consistant en un mélange de molécules volatiles
dominé par l’eau (80% en nombre) (Greenberg, 1998). Nous décrirons
ce modèle plus en détail dans la section 1.3 quant à
ses liens avec le milieu interstellaire.
Il n’existe néanmoins aucune mesure directe de la composition
des noyaux cométaires, et la déduire à partir des
gaz qui sont observés dans la coma n’est pas une opération
triviale. En effet, les implications de travaux récents sur le piégeage
de gaz dans la glace d’eau viennent compliquer ces extrapolations (Notesco
and Bar-Nun, 1996; Notesco and Bar-Nun, 1997; Notesco et al., 1997). Seule
une partie des gaz devrait être relâchée depuis la surface
où la glace s'évapore. L'autre fraction des gaz, quant à
elle, proviendrait de l'intérieur et serait relâchée
lors des changements de structure de la glace (amorphe, cubique ou cristalline)
lorsque celle-ci est réchauffée. Près du soleil, les
deux sources opèrent, tandis que plus loin, après le périhélie
seule la source intérieure devrait être observée.
Le gaz et les poussières sont pour la plus grande part émis
de la partie éclairée du noyau qui est la plus chaude. Il
en résulte une force dans la direction opposée, qui, si elle
est très faible, n’en est pas moins persistante et peu modifier
l’orbite de la comète. La direction et l’intensité de cette
force peuvent être estimées grâce à des observations
de la quantité et de la distribution spatiale du matériel
émis dans la coma. On peut alors en déduire la masse du noyau
à partir des modifications induites dans l’orbite de la comète.
Figure 1-7 :
Noyau de la comète de Halley filmé depuis la sonde Giotto en 1986 à environ 18000 km de distance |
Période : 76 ans Volume : 550 km3 Dimensions du noyau : 8 x 7 x 15 km Masse volumique : 0.03 < r < 4.9 g.cm-3 Masse : 5-30.1016 g Température du noyau : 210-350 K (~1 UA) Rotation sur lui même : 2.84 jours. Albédo géométrique : ~ 0.04 (Crifo, 1994; Enzian, 1997; Whipple, 1989) |
La coma
C’est un nuage de gaz sublimés à partir du noyau et de
grains de poussière entraînés par les gaz. La coma
est composée principalement d’eau, de monoxyde et dioxyde de carbone,
de méthanol et d’autres gaz volatils. Son rayon peut aller de 10
000 à 100 000 km lorsque la comète est active. En général
la coma commence à se développer vers 3 UA, pour certaines
à 5 UA, voire au delà de 10 UA. C’est d’abord CO, gaz le
plus volatile qui s’échappe du noyau et qui explique l’activité
distante des comètes avant ~ 4 UA. A cette distance, l’eau commence
à sublimer (Prialnik, 1997). Pour la comète Hale-Bopp, la
production d’eau est devenue majoritaire à environ 3 UA (Biver et
al., 1997).
La production de gaz des comètes varie entre 1027
< Qg < 1031 molécules/s, à 1 UA. La production
de poussières est quant à elle plus difficile à estimer.
Elle varie selon les comètes et l’on obtient des rapports massiques
Poussière/Gaz de 0.1 pour P/Schwassmann-Wachmann 3, 1 pour C/Levy
(Lisse et al., 1998), ou encore supérieurs ou égaux à
5 pour Hyakutake (Jewitt et Matthews, 1997) et Hale-Bopp (Jewitt et Matthews,
1999). La poussière est observée par diffusion dans le visible
et par émission thermique dans l'infrarouge. Dans les deux cas,
la luminosité est maximale à une longueur d'onde comparable
à la taille de la particule (0.1 à 20 µm). D'après
les données de la sonde Giotto, il pourrait y avoir une perte de
masse beaucoup plus importante due à des grains plus gros (jusqu'à
10 cm) (Crifo, 1994).
Pour une comète du type d'Halley, à 1 UA du soleil, la
vitesse de production Qg est de l’ordre de 6.1029 molecules.s-1,
accompagnée d’une perte de masse comparable en poussières
: 104 kg de poussières par seconde (Arpigny, 1994). Dans
ce cas, la densité totale de gaz près du noyau est d’environ
3.1012 cm-3 (soit environ 10-4 mb), et elle chute
à 106 cm-3 à 5000 km du noyau. Cette distance
correspond au rayon de la sphère de collision Rc à l'intérieur
de laquelle la densité est suffisante pour que des réactions
entre molécules puissent avoir lieu. Plus loin c’est la photochimie
qui prédomine. Rc diffère selon les processus étudiés,
mais c'est une grandeur utile pour des discussions qualitatives. Au-delà
de Rc, un domaine de flux libre de molécules caractérise
la coma externe (exosphère).
L’estimation d’un profil de température des gaz à l’intérieur
de la coma dépend des modèles et des processus thermiques
qui y sont pris en compte. A 1 UA, elle est de l’ordre de 100 ou 200 K
au niveau du noyau, avant de chuter à environ une dizaine de K en
quelques kilomètres. Elle remonte ensuite au niveau d’une centaine
de K (Crifo, 1995 ; Combi, 1996).
Les molécules issues du noyau sont appelées molécules
mères. Elles peuvent prendre part à des réactions
chimiques, mais sont surtout photodissociées ou photoionisées
par les UV solaires pour donner des molécules filles comme des radicaux,
des atomes ou des ions observés dans l'UV ou le visible. On observe
aussi des sources étendues de molécules, dont on parvient
à montrer qu’elles ne sont pas émises directement à
partir du noyau, mais progressivement dans la coma. Nous reviendrons plus
en détail sur ce phénomène dans les prochains chapitres.
La queue d'ions, de poussières
et le nuage d'hydrogène
A de grandes distances du noyau, la coma se sépare en deux queues
:
* La queue d’ions peut atteindre 100 millions de kilomètres.
Elle est rectiligne, entraînée par le vent solaire. Cette
queue est composée par les ions issus de la photochimie dans la
coma.
* La queue de poussières peut s’étendre
sur 10 millions de kilomètres. Elle est formée des particules
de poussière qui sont éjectées du noyau lorsque les
gaz subliment. C’est la partie qui est visible à l’œil nu pour les
comètes les plus spectaculaires. Cette queue est courbe et sa direction
opposée au soleil. Les grains finissent par se satelliser autour
du soleil, et quand la Terre entre dans une région qui a été
traversée par une comète, les particules, en pénétrant
dans l’atmosphère, produisent des étoiles filantes.
Enfin, un nuage d’hydrogène dont le rayon peut atteindre
plusieurs millions de kilomètres (typiquement 100 000 000 km) entoure
la comète d’une enveloppe très tenue d’atomes d’hydrogène.
Figure 1-8 :
Structure générale d’une comète à environ 1 UA du Soleil. (Comète Hale-Bopp représentée ici) |
Le chainon manquant entre le milieu
interstellaire et le système solaire ?
De nos jours, les comètes ne sont plus considérées
uniquement comme de simples boules de neiges sales, mais de plus en plus
comme étant le chaînon manquant à la compréhension
de la formation de systèmes solaires à partir des nuages
interstellaires.
Dans le modèle de Greenberg, proposé en 1982 (Greenberg,
1982), les comètes sont des agrégats de particules de poussières
interstellaires, qui n’ont pas été incorporées aux
planètes lors de leur formation. Conservées dans les régions
les plus éloignées et les plus froides de notre système
solaire, elles pourraient ne pas avoir été altérées
depuis leur formation, et donc avoir conservé en leur sein la composition
de notre nuage moléculaire natal. C’est pour cette raison qu’on
les considère un peu comme « les archives du ciel ».
Cependant les choses ne sont pas aussi simples qu’elles semblent être
à première vue.
Les particules de poussières interstellaires sont produites
dans les atmosphères d’étoiles géantes où elles
condensent avant d’être projetées à travers l’espace
par pression de radiation. Des observations infrarouges, notamment une
structure d’absorption à 9.7 mm, tendent à montrer qu’elles
sont principalement composées de silicates. Une composition d’olivine
amorphe comme MgSiFeO4 permet d’approcher au mieux en laboratoire les observations
astronomiques (Greenberg and Li, 1996).
Le modèle d’évolution cyclique de Greenberg est alors
amorcé : les particules sont transportées entre milieu interstellaire
diffus et nuages moléculaires entre 2 et 20 fois avant que le nuage
moléculaire final ne s’effondre pour former une nébuleuse
solaire puis une étoile accompagnée parfois d’un système
planétaire. Les nuages diffus occupent entre 40 et 80 % du volume
de la galaxie, leur densité est comprise entre 1 et 1000 atomes.cm-3.
Ils sont principalement constitués d’atomes d’hydrogène et
leur température est supérieure à 100 K. Les nuages
moléculaires contiennent 25 à 50 % de la masse interstellaire
dans 1 à 2 % du volume de la galaxie. Ils ont une densité
supérieure à 1000 atomes par cm3 et leur température
est de l’ordre de 10 K (Walmsley, 1994). Dans ces conditions, la synthèse
de composés légers est rendue possible par réactions
ions-molécules ou encore à la surface des grains : H2,
H2O, CO, CO2, NH3 et CH3OH. Du fait de
la faible température qui règne dans ces nuages, les molécules
(excepté H2) condensent sur les grains de silicates pour
former des glaces qui sont bombardées par les UV provenant d’étoiles
voisines, ou encore par les rayonnement cosmiques. Ces apports d’énergie
brisent les liaisons des molécules simples et les radicaux ainsi
formés peuvent réagir avec les molécules voisines
ou être stockés dans la glace. Si les grains sont réchauffés
les radicaux diffusent plus facilement et permettent plus de réactions.
Comme nous le verrons dans le prochain chapitre, l’irradiation de mélanges
de glaces dont la composition reflète celle des glaces interstellaires
et cométaires, conduit à la production d’une grande quantité
de molécules organiques, pour certaines réfractaires (c’est
à dire qu’elles restent solides à température ambiante).
Les propriétés optiques du milieu interstellaire suggèrent
au moins trois types de population de grains : (1) les plus grands grains
mesureraient quelques dixièmes de microns et seraient recouverts
d’un manteau de composés organiques réfractaires synthétisés
dans un nuage moléculaire ; (2) de petites particules carbonées
d’une taille inférieure au centième de micron ; (3) des particules
encore plus petites, probablement des hydrocarbures aromatiques polycycliques
(HAP) (Li and Greenberg, 1997). Un schéma des particules de la première
famille est donné sur la Figure 1-10. Les petites particules des
deux autres types pourraient être piégées dans les
glaces entourant les premières.
Figure 1-10 :
Particules de poussières interstellaires dans les nuages diffus et moléculaires, d’après le modèle de Greenberg. |
Lorsqu’une particule de poussière est réinjectée
dans le milieu diffus qui est plus chaud, les glaces subliment, ne laissant
que le noyau de silicates entouré du manteau réfractaire
à l’état solide. Ce dernier est alors partiellement érodé,
c’est pourquoi, dans un nuage moléculaire, il devrait y avoir deux
couches de manteau réfractaire : le plus intérieur qui a
été altéré en étant exposé directement
aux conditions difficiles du milieu interstellaire diffus, et une couche
externe qui a été formée dans le nuage même.
Un cycle complet prend environ 108 années, et le temps
de vie moyen d’un grain est d’environ 5.109 années avant
d’être incorporé à un nouveau système solaire
(Greenberg et al., 1995).
Lorsqu’un nuage moléculaire atteint une masse critique, suite
à une perturbation gravitationnelle (explosion d’une nova, passage
d’une étoile à proximité), il s’effondre et les grains
vont participer à la formation d’une étoile et éventuellement
un système planétaire autour de cette dernière. Les
matériaux sont alors complètement transformés sous
l’action de la température et de la pression de la nébuleuse,
et la composition originelle des grains est perdue. Cependant, certains
agrégats de matière ont pu être préservés
dans des régions éloignées de l’étoile en formation,
et avoir ainsi conservé une composition primitive : ce sont peut
être les comètes, des boules poreuses (P~0.8) de poussières
et de neiges interstellaires. (Figure 1-11)
Mais existe-t-il vraiment des preuves de la composition interstellaire
des comètes et jusqu’où le modèle de Greenberg peut-il
s’appliquer ? Lunine et al., (1991) et Yamamoto (1985) ont étudié
les conditions de formation des comètes et dans quelle mesure l’eau
et les composés légers des grains interstellaires pouvaient
avoir été volatilisés. Il apparaît qu’une fraction
importante des grains a pu être modifiée jusqu'à de
grandes distances du protosoleil. Lunine et al., (1991) ont calculé
que la quantité de glace qui a sublimé pourrait atteindre
90 % à 30 UA du centre de la nébuleuse. Cette quantité
tombe à moins de 10 % à 100 UA.
|
Figure 1-11 (a et b):
Noyau cométaire formé à partir de particules de poussières interstellaires |
Le point essentiel qui peut nous permettre de conclure sur le caractère
primordial ou non des comètes est que la chimie des nuages interstellaires
(ionique et radicalaire, hors équilibre, à basse température
et basse pression) conduit à des abondances différentes en
produits organiques que la chimie de la nébuleuse solaire (réactions
entre molécules neutres à des plus hautes températures
et pressions). Par exemple, les abondances de C2H2
(Brooke et al., 1996), C2H6 et CH4 (Mumma
et al., 1996) dans la comète Hyakutake, tendent à montrer
que les glaces cométaires ont bien été formées
dans notre nuage interstellaire natal.
Il existe d’autres indicateurs de l’origine des comètes. En
effet, dans la molécule d’eau, l’hydrogène peut exister sous
deux états de spin : ortho et para. Le rapport ortho/para dépend
de la température à laquelle s’est formée la molécule
d’eau. Il a déjà été estimé pour plusieurs
comètes : Halley (ortho/para=2.5), Wilson (ortho/para=3) (Crovisier
1998, et références incluses), Hale-Bopp (ortho/para=2.45)
(Crovisier et al., 1997) et P/Hartley 2 (ortho/para~2.7) (Crovisier et
al., 1998). Excepté pour la comète Wilson, dont le rapport
a été trouvé égal à la valeur d’équilibre
3, impliquant une température de formation excédant 60 K,
les autres mesures suggèrent que les molécules d’eau se sont
formées dans les nuages interstellaires à des températures
trop faibles pour la nébuleuse solaire : 25-35 K. L’incertitude
sur les mesures actuelles reste cependant encore trop importante pour pouvoir
en tirer une conclusion définitive.
Le rapport D/H dans la molécule d’eau est un autre indicateur
intéressant dont nous reparlerons dans la prochaine section. Il
conduit lui aussi à conclure que les glaces cométaires ont
en partie une origine interstellaire, mais elles ont aussi probablement
été mélangées avec de l’eau reprocessée
dans les régions internes de la nébuleuse solaire (Blake
et al., 1999; Bockelée-Morvan et al., 1998; Meier et al., 1998).
Mais toutes les observations n’aboutissent pas à la conclusion
que les comètes ont conservé une composition interstellaire.
Nous avons vu précédemment que les silicates dans les poussières
interstellaires étaient observés à l’état amorphe.
La présence de silicates sous forme cristalline est une preuve d’un
séjour à haute température (plus de 1300 K), qui modifierait
considérablement la composition des grains interstellaires : sublimation
des composés volatils, pyrolyse du manteau réfractaire. Les
observations montrent que la poussière cométaire contient
des silicates sous forme amorphe et cristalline (Crovisier, 1997; Hanner
et al., 1994a; Hanner et al., 1994b). Les observations de la comète
Hale-Bopp indiquent la présence d’olivine cristalline (Mg2SiO4
: forsterite) (Crovisier et al., 1997; Hayward and Hanner, 1997) qui pourrait
composer 20 % des silicates de la comète (Hanner, 1997). Mais dans
la même comète, à 7 UA du soleil, aucune trace de glace
d’eau cristaline n’a été détectée (Davies et
al., 1997). Cette dernière est donc vraisemblablement présente
sous forme amorphe, c’est à dire qu’elle n’a pas été
exposée à des températures supérieures à
100 K depuis sa condensation, et donc qu’elle pourrait avoir conservé
la composition des grains interstellaire. Lellouch et al., (1998) ont par
contre détecté de la glace cristalline dans les grains de
la comète, mais une telle détection n’est pas forcément
contradictoire avec l’observation précédente, car la comète
était alors plus proche du Soleil (2.9 UA) et donc plus chaude.
La structure de la glace pourrait donc avoir été modifiée
par réchauffement du noyau ou sur des grains dans la coma. De plus,
comme nous le verrons dans le prochain chapitre, la présence de
glace amorphe dans le noyau est prévue par des modèles numériques
afin d’expliquer l’activité distante de certaines comètes.
Comment peut-on alors expliquer qu’une partie des silicates aient subi
de très hautes températures alors que la glace semble n’avoir
jamais séjourné à plus de 100 K ?
L’une des approches pour répondre à cette question est
de considérer que des particules ayant séjourné à
haute température dans des régions proches du Soleil en formation
(c’est à dire des particules de silicates sous forme cristalline)
ont pu diffuser par turbulence dans la nébuleuse jusqu'à
la région de formation des comètes (voir la discussion dans
Bockelée-Morvan et al., (1998)). Il faut aussi considérer
que ces particules pourraient aussi avoir été éjectées
de la région interne de la nébuleuse par le flot bipolaire
perpendiculaire au disque protoplanétaire, qui résulte de
l’interaction entre la nébuleuse en accrétion et la magnétosphère
de la jeune protoétoile. Une partie de ces particules peuvent retomber
dans le système solaire à de grande distances du Soleil,
où la température est beaucoup plus faible, et être
mélangée avec les particules locales qui sont demeurées
amorphes (Shu et al., 1996). On pourrait donc ainsi expliquer que l’on
trouve des matériaux à l’état amorphe et cristallin
dans les mêmes comètes.
Une étude des rapports 12C/13C, 14N/15N
et 32S/34S dans la comète Hale-Bopp a permis
à Jewitt et al. (1997) de conclure que les molécules de cette
comète avait été formées dans notre système
solaire, et que cette dernière ne présentait aucune preuve
de composition interstellaire. Cependant, les rapports isotopiques observés
dans notre système solaire ne sont représentatifs que du
nuage protosolaire d’il y a 4.6 milliards d’années. Les rapports
interstellaires pour ces isotopes ont évolué depuis et sont
donc différents de ceux des comètes. Ces dernières
observations ne permettent donc pas de rejeter l’hypothèse d’une
composition interstellaire des comètes.
Mais peut-on dire que Hyakutake et Hale-Bopp sont représentatives
de toutes les comètes ?
Concernant notre système solaire, il semble exister deux réservoirs
de comètes. Le premier est la ceinture de Kuiper qui s’étend
entre 30 et 100 UA du Soleil et pourrait contenir environ 105
objets d’un diamètre supérieur à 100 km (Jewitt, in
press) ; la plupart des comètes à courte période de
la famille de Jupiter proviennent de cette région. Le second est
le nuage d’Oort : sphérique, il s’étend jusqu'à 10000-100000
UA et pourrait contenir 1012-1013 objets (Weissman,
1996) (1 année lumière ~ 63000 UA). On pense que ce dernier
est composé de comètes formées entre 5 et 30 UA du
Soleil, et qui ont été éjectées à de
plus grandes distances à cause d’interactions gravitationnelles
avec les planètes géantes. Les comètes à longue
période, comme Hyakutake et Hale-Bopp, mais aussi les comètes
de la famille de Halley, dont la trajectoire est hors du plan de l’écliptique,
proviendraient de ce nuage.
Ainsi, les comètes qui se sont formées à 5 UA
et qui sont conservées dans le nuage d’Oort, et celles qui se sont
accrétées au delà de Neptune dans la ceinture de Kuiper,
ne devraient pas avoir la même composition car elles se sont formées
dans des environnements différents. De plus, si les glaces entre
Jupiter et Neptune n’ont pas connu la même histoire chimique et physique,
les comètes du nuage d'Oort ne devraient pas avoir toutes la même
composition. Cette hypothèse est d’ailleurs vérifiée
car l'abondance de certains composés comme le méthanol varie
significativement parmi les membres de cette population ; Hyakutake a plus
d'éthane que certaines limites supérieures mesurées
pour d'autres comètes, et ni l'éthane ni l'acétylène
n'ont jusqu'à présent été détectés
dans Halley. Si les comètes ont une composition reflétant
leur zone de formation, cela implique un gradient radial dans la composition
des glaces précométaires entre 5 et 30 UA de la nébuleuse
préplanétaire. Aucune des théories courantes ne prend
véritablement en compte cet aspect (Mumma, 1996). Des données
expérimentales viennent appuyer cette idée : d’après
les récents travaux de Notesco and Bar-Nun (1997) sur le piégeage
de différents gaz dans des glaces d’eau à différentes
températures, les auteurs estiment que les glaces, et donc les comètes
formées dans les régions relativement chaudes de Jupiter
et Saturne n’ont pu piéger que du méthanol, de l’acide cyanhydrique
et d’autres hydrocarbures plus lourds. Par contre dans les régions
plus froide d'Uranus, Neptune, ainsi que dans la ceinture de Kuiper, des
gaz comme Ar, Kr, Xe, CO, CH4, et N2 ont pu être
piégés.
La seule étude systématique de la composition cométaire
a été entreprise sur 85 comètes et a permis de les
classer en deux familles, suivant qu’elles possèdent un rapport
C2/CN élevé ou faible. Cette dernière catégorie
correspondrait aux comètes de la famille de Jupiter (A'Hearn et
al., 1995). Mais les données observationnelles sont insuffisantes
pour étendre cette étude à des molécules mères.
De plus, cette conclusion a été récemment remise en
cause par Schulz et al., (1998) qui ont trouvé que le rapport C2/CN
varie fortement dans la comète P/Wirtanen, et qu’il conduirait à
la classer dans l’une ou l’autre des familles suivant la distance héliocentrique
de la comète. Une autre étude, basée sur les propriétés
polarimétriques de 22 comètes, a dégagé deux
classes de comètes ayant des poussières aux propriétés
différentes (Levasseur-Regourd et al., 1996). Mais ces différences
n’ont pas pu être corrélées à l’origine de ces
comètes.
Un dernier élément vient encore compliquer le problème.
Farinella and Davis (1996) ont déduit de modèles théoriques
que les comètes à courte période pourraient être
les produits de collisions entre des corps de taille plus importante dans
la ceinture de Kuiper. Un tel mécanisme ne manquerait pas d’altérer
leur composition, et jetterait un doute définitif sur leur nature
primordiale.
Lunine écrit en 1997 : « the gas and grain material would
be progressively more similar to that of the molecular cloud as one moved
outward beyond Jupiter and Saturn. The most distant bodies of the solar
system, Kuiper Belt objects and Oort Cloud’s comets might have retained
an essentially interstellar composition ». Ainsi, il ne faut pas
parler pour les comètes d’un seul chaînon manquant, mais d’une
chaîne manquante dont chaque maillon correspondrait à une
famille de comètes ayant une certaine origine et une histoire thermique
différente des autres avant et après leur accrétion.
L’étude d’une seule ou de quelques comètes ne permettra pas
de conclure sur l’ensemble de la population, mais fournirait une pièce
du puzzle qui figure l’histoire de notre système solaire. La mission
spatiale Rosetta ne sera donc qu’un premier pas dont il ne faudra tirer
des généralités concernant les comètes qu’avec
beaucoup de précautions.
Buvons-nous de l'eau interstellaire
?
Le deuxième intérêt majeur des comètes est
qu’elles sont souvent évoquées, avec les météorites,
pour expliquer l’apport d’eau sur la Terre. Etant donné leur température
d’accrétion élevée, les planétésimaux
qui ont donné naissance à notre planète n’ont certainement
pas pu conserver leur eau. De même, l’eau « protosolaire »
n’a jamais pu condenser directement sur la Terre. Donc, soit des matériaux
riches en eau, comme les comètes ou des chondrites, ont été
mélangés au matériau protoplanétaire pour être
ensuite dégazés, soit ils ont été apportés
directement à la surface par impact. Comme l’ont récemment
noté J. Oro et C. Cosmovici dans une revue (Oro and Cosmovici, 1997),
si la Lune s’est formée après l’impact avec la Terre d’un
objet ayant la taille de Mars comme le suggèrent Cameron and Benz
(1991) ainsi que Ida et al. (1997), la plupart des composés volatils
terrestres ont dû être volatilisés et perdus dans l’espace.
Les apports extraterrestres après cet impact deviennent alors la
source d’eau la plus probable sur la Terre.
Dans le même article, Oro et Cosmovici écrivent que le
rapport D/H mesuré dans plusieurs comètes n’est pas très
éloignés des valeurs terrestres, ce qui serait un argument
en faveur d’une origine cométaire de notre eau. Mais ce n’est pas
tout à fait exact. Le rapport D/H a été mesuré
dans les comètes de Halley (Balsiger et al., 1995; Eberhardt et
al., 1995), Hyakutake (Bockelée-Morvan et al., 1998), et Hale-Bopp
(Meier et al., 1998). Pour ces trois comètes, dont on pense qu’elles
proviennent du nuage d’Oort, D/H~3.10-4, alors que dans l’eau
sur Terre D/H=1,5.10-4 (Lecluse et al., 1996). Si l’eau des
océans avait été importée par des impacts cométaires,
la valeur devraient être identique dans les marges d’incertitude,
ce qui n’est pas le cas. A partir de ces données, F. Robert a estimé
qu’au maximum 10 % de l’eau terrestre pouvait avoir une origine cométaire
(Deloule et al., In press; Robert, 1997). Des mesures dans le millimétrique
de jets autour du noyau de Hale-Bopp ont récemment permis de mesurer
un rapport D/H de 3.10-3 dans de l’eau provenant directement
de grains, soit 10 fois plus encore que les mesures évoquée
précédemment (Blake et al., 1999), ce qui semble compliquer
encore le problème (évolution du rapport dans la coma elle
même, différentes formes d’eau accrétée). Ce
dernier article reste toutefois encore sujet à contreverses.
D’autres comètes, provenant par exemple de la ceinture de Kuiper,
pourraient avoir un rapport D/H plus compatible avec les valeurs terrestres
; mais aucune mesure les concernant n’a encore pu être effectuée.
Delsemme (1999), quant a lui, montre que les comètes s'étant
formées dans la région de Jupiter pourraient avoir un enrichissement
en D/H différent de celui mesuré jusqu'à présent
car elles auraient recondensé de l’eau ayant séjourné
à température élevée et dont le rapport D/H
pourrait atteindre une valeur de l’ordre de 1,2.10-4. D’après
des simulations de trajectoires, ces comètes auraient très
majoritairement (80 %) contribué au bombardement terrestre et permettraient
d'expliquer la valeur actuelle du rapport D/H dans les océans terrestres.
Ce scénario est toutefois assez difficilement vérifiable
de nos jours, car seulement 4 % des comètes provenant du nuage d'Oort
appartiendraient à cette famille. Quant aux comètes provenant
de la ceinture de Kuiper, elles devraient avoir la même valeur que
les trois mesures effectuées jusqu'à présent, ayant
conservé un rapport « interstellaire ».
L’eau pourrait aussi provenir de météorites carbonées
dont les rapports D/H sont plus satisfaisants (Bockelée-Morvan et
al., 1998).
Cette question est donc toujours ouverte et il semble encore prématuré
d’exclure les comètes comme apport d’eau terrestre (voir Bockelée-Morvan
et al. (1998) et Delsemme (1999) pour des discussions plus approfondies
sur la question).
Of Ices and Men : les comètes
et l'exobiologie
Le troisième aspect majeur expliquant l’intérêt
porté aux comètes est qu’elles ont pu jouer un rôle
important dans l’apparition de la vie sur Terre. Chamberlin and Chamberlin
(1908) ont proposé dès le début du siècle que
des impacts de chondrites carbonées pouvaient avoir été
une source importante de composés organiques sur la Terre. A partir
d’observations, dans les comae, de radicaux contenant des atomes de carbone
et d’azote, J. Oro a été le premier, en 1961, a suggérer
que les comètes aient pu jouer un rôle similaire (Oro, 1961)
: « I suggest that one of the important consequences of the interactions
of comets with the Earth would be the accumulation on our planet of relatively
large amounts of carbon compounds which are known to be transformed spontaneously
into amino-acids, purines and other biochemical compounds ».
Il est maintenant clair que les comètes constituent un important
réservoir d’une grande variété de composés
organiques :
Figure 1-12 :
Synthèses prébiotiques à partir de molécules prébiotiques (adapté de Oro and Cosmovici (1997)) |
Les autres produits nécessaires à la formation d’une protocellule
selon Oro ont aussi été détectés. Le phosphore,
qui est impliqué dans la synthèse des nucléotides,
a été détecté par le SM de PUMA à bord
de VEGA 1 dans les grains de la comète de Halley (m/z=31). Son abondance
est cependant assez faible et sa détection peut être perturbée
par l’interférence d’autres ions comme CH2OH+ (Kissel and Krueger,
1987). Néanmoins l’analyse de grains de particules interplanétaires
dont l’origine cométaire est très probable, a conduit à
la détection des anions PO2- et PO3-
(Radicati-Di-Brozolo et al., 1986). Ni et Fe ont été détectés
dans les comètes Ikeya-Seki et Halley (voir Crovisier (1997) pour
une revue récente).
Néanmoins, des composés complexes d’intérêt
exobiologique peuvent aussi être présents sur les comètes.
Bien qu’elle n’ait jamais été détectée que
de façon très incertaine par PUMA dans la comète de
Halley (Kissel and Krueger, 1987), une molécule comme l’adénine
peut être synthétisée à partir de HCN sans la
présence d’eau liquide (Oro and Cosmovici, 1997; Wakamutsu et al.,
1966). De plus, lorsqu’on irradie des mélanges de glaces ayant une
composition caractéristique de celle des glaces interstellaires
ou cométaires, des molécules complexes sont synthétisées,
et parmi elles la glycine qui est l’acide aminé le plus simple (Briggs
et al., 1992). Après hydrolyse acide du résidu des glaces
après irradiation, d’autres acides aminés ont été
identifiés : alanine, acide aminobutyrique (Kobayashi et al., 1995).
Ainsi, les comètes ont pu importer sur Terre les éléments
prébiotiques, qui, une fois dans de l’eau liquide, ont permis la
synthèse de toutes les molécules que l’on estime à
ce jour nécessaires pour l’émergence de la vie. Mais avant
d’ensemencer les océans, ces composés ont dû survivre
à une pyrolyse éventuelle lorsque la comète a été
ralentie et réchauffée lors de son entrée dans l’atmosphère,
ainsi qu’à l’impact final. Cette question a été étudiée
par Chyba et al. (1990). Il apparaît que des composés organiques
(même des acides aminés s’ils sont présents), peuvent
être préservés lors d’une collision avec la Terre pour
une comète de 100 à 200 m de taille grâce au freinage
d’une atmosphère composée de 10 bar de CO2. L’étude
de la composition des atmosphères de Vénus et de Mars conduit
à penser qu’il s’agit de la composition probable de l’atmosphère
terrestre primitive. Les auteurs notent en conclusion : « It is
intriguing that it is exactly these dense CO2 atmospheres, where
photochemical production of organic molecules should be the most difficult,
in which intact cometary organics would be delivered in large amounts ».
En effet, les synthèses organiques sont favorisées dans les
atmosphères réduites, même faiblement comme celle de
Titan (N2, CH4), alors qu’elles sont difficiles dans l’environnement oxydé
qu’était probablement l’atmosphère terrestre primitive.